36- Jess

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 Comme tout les matins, je suis a la bourre. J'enfile à peine mes chaussures lorsque j'aperçois Amy monter dans le bus. Mais qu'est-ce qu'elle fait? Elle descend? Je tente en vain de trouver où j'ai bien pu mettre mon sac, fouille partout dans le salon, monte dans ma chambre à la course sur mes talons hauts et manque de me tordre une cheville en redescendant. Je trouve enfin le dit sac dans la cuisine. J'ouvre la porte à la volée et là, horreur, Jojo part sans moi.

Le bus avance et laisse place à Amelia devant son portail, assise sur sa moto, les bras croisés et un énorme sourire moqueur sur le visage.

— Il t'avais prévenu qu'à force il te laisserait en plan.

— Je suis sure que c'est de ta faute. Comment je fais maintenant?

Elle se penche derrière l'engin et ramasse deux casques. Elle sourit encore, plus fière d'elle que jamais.

— Je me vengerai.

— J'ai hâte de voir ça.

Elle donne un coup sur le kick et démarre la moto non sans sourire avant d'enfiler son casque. Je fais de même et m'installe derrière elle. Je remarque qu'elle a fixé son sac au réservoir d'essence, elle avait prévu son coup à l'avance la garce. Je fais mine de bouder mais en vérité, je ne suis pas mécontente d'avoir un prétexte pour m'accrocher à elle après la nuit dernière.

Elle enclenche la première et le bolide part à toute vapeur sur la route escarpée qui mène en ville. Elle fait volontairement des écarts pour m'effrayer et que je ressers ma prise sur elle. Lorsque nous retrouvons la nationale, je décide qu'il est temps pour moi de jouer un peu. La route est droite, propre et pratiquement déserte, j'en profite pour décrocher ma main droite et venir frôler sa cuisse. L'effet ne se fait pas attendre et elle fait un nouvel écart.

— T'es folle! Je conduis!

Je rigole derrière ma visière et pour se venger, elle accélère allant jusqu'à doubler le bus et ceux qui sont dedans. C'est là que j'en prend conscience, tous les élèves sont à la fenêtre pour voir qui est derrière la moto d'Amelia. Ils vont tous me demander ce que je fais là et, j'en ai un peu honte, mais je ne veux pas leur parler de nous.

Ce n'est pas exactement de la peur, mais je voudrais garder ça pour moi, LA garder pour moi et moi seule. Je n'ai pas envie que leur jugement, leurs remarques ou leurs regards ne viennent ternir ce qu'il y a entre nous, quoi que ce soit.

Alors que je me demande ce que je vais bien pouvoir inventer comme mensonge, au moment de tourner pour aller au lycée, Amy dévie du chemin et prend une rue à droite. Elle remonte la rue principale et va se garer devant la boutique de la tante d'Hilena.

— Qu'est-ce que tu fais? je demande.

— Je vais chercher le petit déjeuné puisque je suis certaine que tu n'as pas pris le temps de manger.

— On va être en retard au lycée.

— T'inquiète. Le temps que Jojo ramasse tout le monde on a encore une demi heure devant nous.

Elle descend de sa monture et se dirige vers la boulangerie des parents de Josua. Ce qui me tracasse, ce n'est pas l'heure qu'il est mais là où on est. Premièrement parce que je n'aime pas ce parking, il n'est que le témoin de souvenirs malheureux, mais surtout, c'est un des arrêts du bus et d'après mes calculs, il ne devrait pas tarder à arrivé puisque que je vois Hilena derrière la porte vitrée en train de traverser le magasin d'Alexia pour le rejoindre.

En grande lâche, je m'apprête à me cacher derrière la moto mais mon ex-meilleure-amie-qui-me-reparle entre dans la boulangerie. Quelque instants plus tard, le bus arrive, s'arrête et je tourne le dos pour faire mine de ne rien voir. Je ne reviens au reste du monde que lorsqu'une main se pose sur mon épaule. Je me retourne en sursautant et aperçois Amy, me souriant de toutes ses dents, un sac en papier à la main. Je l'ouvre et souris à mon tour.

— Qui t'as vendu la mèche pour les brioches aux pralines? Comment tu peux savoir ce que je préfère?

— J'ai deviné.

Je mime une moue septique.

— Ok, avoue-t-elle, c'est Hilena. Elle t'a vu et a vite compris.

Sur ce coup là, je ne peux pas lui en vouloir, j'aime beaucoup trop les brioches aux pralines... Nous les mangeons là, assises sur un trottoir à 7h et demi du matin dans le froid automnal. Nous rions, nous nous goinfrons et nous savourons ce délicieux moment en tête à tête jusqu'au moment fatal de la miette.

Un petit morceau de brioche se coince au bord de ma lèvre, Amy l'enlève délicatement du bout de son pouce et vient s'approcher pour m'embrasser. Je la repousse. Elle parait d'abord étonnée puis s'en amuse.

— Ouais, je vois, tu m'avais bien dit que tu te vengerais.

— Ce n'est pas ça... je répond à contre coeur. On est en plein centre ville et...

— Et tu ne veux pas qu'on nous voit. Je comprends.

— C'est vrai? je demande étonnée.

— Non. Bouge toi, je ne voudrais pas te mettre en retard en plus de te faire honte.

Elle se lève d'un coup, très énervée et démarre la moto avant même que je n'ai eu le temps de rattacher mon casque. Elle arrive en trombe devant le lycée et dérape devant le portail et tous les élèves qui entrent. Je me dépêche de descendre pour que l'on puisse parler.

— Amelia, attend, c'est pas ce que tu crois.

— Jess? résonne une voix derrière moi.

Je regarde par dessus mon épaule et vois les filles: Tiphanie, Pauline et Sixtine. La première croise les bras sous sa poitrine, l'air contrarié, Pauline ouvre la bouche sous ses yeux ébahies et Sixtine tente de cacher son sourire. Malheureusement pour moi, c'est Tiphanie qui a parlé.

— Mais qu'est ce que tu fais derrière cet engin?

— Ce n'est pas ce que tu crois.

— Tu te répète princesse, s'énerve Amy.

Elle tourne l'accélérateur et va se garer sur le parking.

— Vous êtes copines? s'étonne Pauline.

— J'ai juste raté le bus.

— Je préfère ça, commente Tiphanie. Met un réveil plus tôt demain, il ne faudrait pas que les gens te voient trop souvent avec elle. Ils vont croire que tu fais parti des cas sociaux toi aussi.

Sur ce, elle et Pauline disparaissent dans l'enceinte du lycée. Sixtine se tourne vers moi.

— J'en conclu que le voyage ne s'est pas bien passé.

Je souffle, à la fois déçue par moi, par ce qu'il s'est passé et par le besoin que tout le monde éprouve de me donner leur avis.

— Sans commentaire. 

Dix minutes par jourWhere stories live. Discover now