Dix minutes par jour

5-Amelia

Je m'attendais à le voir entouré de fils, un tube dans la bouche à côté d'un moniteur qui fait bip bip, comme dans les séries américaines. Mais non. Sami est allongé sur un lit d'hôpital classique, avec la couverture orange qui grappe. On pourrait croire qu'il dort.

Daniel m'attend dans le couloir. Je ne sais pas pourquoi j'ai absolument tenu à venir. Ça m'avance à quoi d'être là? Je ne peux pas aider, je ne peux pas le réveiller, je ne vais pas lui parler alors qu'il n'est pas vraiment là. Je ne peux pas détacher mon regard de son visage dont les contusions ont viré au violet.

Il y a cette rage au fond de moi. Celle d'être totalement inutile. Le sang bat dans mes tempes, mon souffle court ne s'est toujours pas calmé depuis que Courteix a quitté l'appart. J'ai envie de tout défoncer, Veillac, ses hommes, le système, toute la ville... Je fais craqué ma nuque espérant faire disparaitre toutes les tensions qu'elle renferme, sans succès.

Mes yeux s'attardent sur l'armoire entrouverte. Les fringues qu'ils ont réussi à sauver sont lavées, pliées et rangées sur une étagère. Je m'approche, m'empare du blouson en cuir de Sami et l'enfile. Il n'est pas si grand que ça en fin de compte. Je jette un coup d'oeil au blessé sur son lit.

— Je te l'emprunte mec. Je te le rend quand tu te réveilles.

Je ressors dans le couloir, bien décidé à évacuer cette colère qui me bouffe de l'intérieur.

— Je peux prendre ta voiture, je demande à Daniel?

Il grogne un peu. Je suis mineure, je n'ai pas le permis, ça ne m'a jamais empêché de conduire depuis mes 14 ans, depuis que lui même m'a apprit.

— Si tu te fais chopé, c'est 5 ans sans avoir le droit de passer un examen, t'as le bac à la fin de l'année.

Je ris intérieurement. Ce mec, bedonnant à la moustache trop fournie qui sent un mélange d'alcool et de transpiration, est le seul à se préoccuper de mon avenir alors qu'il n'a aucun lien de famille avec moi. Il est juste le gars qui sautait ma mère de temps en temps.

— Et ça t'empêchera de m'embaucher si je n'ai pas de diplôme?

Un sourire vient faire remonter les poils qu'il a sous le nez. Si on vient faire réparer sa bagnole chez Daniel, le repris de justice pour recel de voitures volées, ce n'est pas pour la qualité du service, c'est parce que c'est pas cher.

— Tu veux aller où, demande-t-il? Je peux t'amener.

— On est samedi, t'as du boulot. Puis j'ai juste besoin de conduire, pour me vider la tête.

Il fouille dans la poche arrière de son pantalon crade.

— Ok, tu me déposes au garage avant.

Il garde les clefs un moment au dessus de ma main un instant pour m'avertir.

— Tu serais priée de me la rendre intact ce coup-ci. C'est dure à trouver les pare-chocs de ford escort.