30- Jess

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Je suis Amelia sur la piste de danse. Elle a pris ma main, ce simple contact fait déjà frissonner mon corps tout entier, alors lorsqu'elle pose l'autre sur ma hanche, mon coeur se met à battre la chamade.

Nous commençons à onduler lentement au rythme de Take Me To Church. Ses pas l'accordent parfaitement aux miens et nos corps se mêlent comme s'ils avaient attendu ça toute leur vie.

Je ne comprend pas pourquoi ça me fait autant d'effet. Oui, je l'aime bien, oui j'ai eu un crush, mais là tout de suite, je ressens des choses que je n'avais jamais ressenti auparavant. C'est déstabilisant.

Tout le monde nous regarde dans la pièce, nous sommes clairement le centre de l'attention et pourtant, tout ce qui m'importe à l'instant, ce sont les yeux de ma partenaire de danse qui se plantent dans les miens. Son visage semble grave, comme si elle non plus ne comprenait pas exactement ce qu'il se passait.

Ce n'est pas la première fois que je danse avec quelqu'un qui me plait, mais jamais je n'avais ressenti autant de proximité. Je peux distinguer chaque parcelle de mon corps en contact avec le sien. Sa main dans la mienne, celle sur ma taille, la mienne sur son épaule. Notre danse éveil en moi des sensations inconnues. J'ai effroyablement chaud et c'est très agréable. Il y a comme un cocon qui nous entour, qui me protège du regard des autres mais surtout de mon propre regard sur moi même.

Mon coeur fait des sauts dans ma poitrine et ça ne m'effraie pas. Je n'ai pas peur de la crise d'angoisse malgré ma respiration rapide. Je sais qu'elle est là et que dans ses bras, il ne m'arrivera rien. C'est même incroyablement revitalisant de savoir que je peux éprouver des émotions si intenses sans avoir peur. Je me sens en vie.

Peut-être même plus que ça. Sa main glisse dans mon dos et elle ressert son étreinte. Sa main dans la mienne, l'autre dans mon dos, la mienne sur sa nuque, nos hanches dont les mouvements d'accordent parfaitement, le bas de son ventre contre le mien. Je ne peux m'empêcher de regarder sa bouche à quelques centimètres de la mienne, je peux presque sentir son souffle. Je dois me mordre la lèvre pour m'empêcher de l'embrasser.

Je pourrais. En soit, rien ne m'en empêche. J'en ai envie et je suis certaine qu'elle aussi. J'ai du mal à avaler ma salive. Je réalise que si j'en ai le pouvoir, je n'en ai pas vraiment le droit.

Cette fille, je l'aime vraiment. Pas comme un simple crush, pas comme une stupide attraction. J'ai appris à la connaitre, je sais ses forces, ses faiblesses. Je sais ce dont elle est capable pour ses proches et je ne peux pas la laisser s'accrocher à moi. Je suis nocive. Hilena en est la parfait exemple, je n'ai su lui faire que du mal. Mes parents restent ensemble en partie pour moi et ça les détruit de l'intérieur. Je suis un cas pathologique, une boule de stresse permanente qu'il faut sans cesse rassurer. Je ne serais d'un boulet qu'Amelia devrait se trainer elle qui ne rêve que de liberté. Je ne peux pas lui faire ça, je n'en ai pas le droit. Je détruis tout ce que je touche, je fais souffrir, j'emporte avec moi vers les ténèbres tout ceux qui font l'erreur de m'approcher.

Je pense à Sixtine qui a eu peur de me parler de la plus belle rencontre qu'elle ait fait dans sa vie. Je pense à Marc qui guette en permanence si j'ai besoin d'aide pour être certain de pouvoir intervenir. Je pense à Jojo qui se fait engueuler tous les matin par son patron parce qu'il est incapable de respecter les horaires alors qu'une fois encore, je suis la seule fautive. J'ai l'impression de nuire à tout mon entourage, de rendre les sourires moins lumineux, de ternir tout ce qui est beau. Et pour rien au monde je ne voudrais tenir la beauté d'Amelia.

Je suis obligée de baisser les yeux à cette pensée, ça fait un mal de chien. Devant mon regard fuyant, elle lâche mes doigts et fait descendre les siens jusqu'à mon poignet. Elle vient poser ma main sur sa poitrine pour que je sente battre son coeur. Je pense qu'elle veut me rassurer, me montrer qu'elle aussi éprouve cette chose étrange qui nous électrise toutes les deux. Elle ne comprend pas que ce simple geste est en train de m'achever. Je sens la douleur revenir dans ma poitrine.

Ce n'est pas une crise d'angoisse, c'est mon coeur qui se brise. Il se fait transpercer par une pointe qui déchire lentement la chaire. Mes doigts tremblent sur le tissu de son T-shirt. Ce simple contact me rend dépendante autant qu'il m'effraie. J'ai envie de plus. Je voudrais caresser sa joue, gouter à ses lèvres, me rapprocher d'elle un peu plus encore, mais je ne peux pas. Je ne dois pas. Je lui apporterai tellement plus de douleur que de joie.

Elle lâche mon poignet et vient glisser sa main sous mon menton pour m'obliger à la regarder. Mon visage suit la trajectoire qu'elle me force à prendre mais mes yeux restent clos. Nos pieds continuent leur danse mais toute mon attention est focalisée sur une seule pensée: ne pas pleurer.

— Jessica, regarde moi.

Je prend une grande inspiration, un peu pour me reconnecter à la réalité, un peu pour enfoncer l'aiguille plus profond. En me concentrant sur cette nouvelle douleur, je retiendrais peut-être mes larmes.

Mes paupières s'ouvrent sur les yeux humides mais je ne pleure pas. Ma lèvre inférieur, cette traitresse, tremble tout de même. Amelia le voit et vient plaquer son front contre le mien. Sa main dans mon dos, la mienne sur sa nuque, l'autre sur son coeur battant, nos hanches dont le mouvement d'accorde parfaitement, le bas de son ventre contre le mien et nos fronts ne faisant qu'un.

Je suis là, face à cette fille merveilleuse qui ne demande pas mieux que de m'aimer, et je suis obligée de la repousser parce que je suis trop faible. Si seulement je pouvais être un soutient pour elle, si seulement je pouvais tenir debout toute seule.

Je ferme les yeux pour ne pas voir les siens mais une larme s'échappe. Je pourrais être tellement heureuse. Il suffirait que je me laisse tenter. Elle pourrait m'apporter tout ce que je cherche depuis si longtemps. Si j'étais assez égoïste, je pourrais oublier qui je suis, oublier que je tiens à elle et que je ne veux pas la blesser. Je ne sais même pas ce qui me demande le plus de courage, de renoncer à l'embrasser ou de céder à la tentation.

Nous continuons à nous balancer l'une contre l'autre, je tente d'emmagasiner un maximum de souvenirs, que ce sentiment, aussi douloureux soit il, reste encré en moi pour le reste de ma vie. Je ressemble mes idées sur ma respiration et la sienne, pour pouvoir inspirer chacune des particules qu'elle expire. C'est la seule chose que nous partagerons ce soir. Il faut que se soit ainsi.

Lorsque la musique se termine, nous échangeons un bref regard et repartons en direction de la banquette. Amelia glisse ses mains sans les poches de son jean pendant que j'essaie d'essuyer discrètement mes larmes. Tout le monde a les yeux rivés sur nous. Sixtine a une moue en coin qui m'est adressée pour me dire qu'elle est désolée pour moi, Morgane a un légers sourire plein d'espoirs qui n'ont pas lieu d'être. Seule Hilena ose prendre la parole.

— Envie d'un verre? D'une fritte? D'une bonne douche froide?

Je ne répond même pas. Amelia, le regard perdu, le fait.

— Une clope. J'ai envie d'une clope.

Elle prend la direction de la sortie suivie de prés par Hilena. Sixtine se jette dans mes bras pour me faire un câlin. Je fond en larmes, littéralement. J'en ai tellement marre de ne rien pouvoir faire correctement. Tellement marre d'être moi.  

Dix minutes par jourWhere stories live. Discover now