Dix minutes par jour

31- Amelia

Je sort dans la fraicheur de la nuit et m'assois sur les marches de l'entrée. La musique se fait moins forte, les lumières moins vives et la noirceur de la nuit plus paisible. Pourtant, j'ai toujours du mal à rassembler mes idées. Je sors une cigarette de mon paquet, l'allume en regardant les ombres qui bougent dans le pré d'en face.

Qu'est-ce que je fous là? Je suis tellement retournée, au sens propre. Cette danse m'a foutu en vrac. Elle a remué en moi des trucs dont je ne soupçonnais même pas l'existence. J'ai envie de hurler. Je crois que le pire, c'est que je l'ai fait pleurer. Je crois qu'elle n'est pas plus solide que moi.

J'entend les portes battantes s'ouvrir et se refermer derrière moi. Hilena vient s'assoir, s'allume une clope et regarde elle aussi les vaches du pré d'en face.

— Ça va? demande-t-elle en recrachant la fumée.

Je ne réponds pas, me contente de lui adresser un regard blasé.

— Question con, conclu-t-elle d'elle même. Je crois que c'était la danse la plus torride que cette piste n'ait jamais vu. Toi et Jess alors. Improbable comme association.

— Il n'y a rien. Tu l'as bien vu.

— Ce que j'ai vu, ce n'était pas rien.

Je laisse tomber ma tête en avant. Mais qu'est-ce que j'ai fait? Je vais me barrer, de ce bled pourri, de chez ma soeur. Je vais laissé tout le monde reprendre une vie normal qui sera bien mieux sans moi. Alors pourquoi m'enticher d'une fille qui ne veut pas de moi?

— Bon, Amy, je te dis ça parce qu'on est potes et que je t'aime bien mais je ne le dirais qu'une fois.

Hilena prend le temps de se tourner vers moi et attend que je fasse de même, elle a compris qu'il valait mieux ne pas me toucher.

— Jess doit être la personne qui m'a fait le plus de mal sur cette planète, dit-elle calmement. Et il est hors de question que je lui pardonne en une soirée. Mais ce qu'il y avait sur cette piste de danse, ce n'était pas qu'un crush et ce n'était pas à sens unique. Alors fait ce que tu veux, protège toi au possible pour ne pas en souffrir, mais un truc comme ça, je ne pense pas que tu le revives une autre fois dans ta vie. On a 17 ans, les souvenirs qu'on vit maintenant sont ceux qu'on va raconter jusqu'à ce qu'on en ait 70. C'est là, c'est maintenant, le truc ultra intense et qui nous semble qu'il va bouleverser le restant de notre existence. Ce serait con de passer à côté.

Je plisse le front d'étonnement.

— Tu es en train de me dire de sortir avec Jess? Toi, Hilena David?

— J'ai dit que je ne le dirais qu'une fois, t'attend pas à ce que je le répète.

Un sourire amusé se dessine sur son visage. Elle me donne un coup d'épaule amical. Je crois qu'on est amies, j'aime bien l'idée.

Sur ce, les portes de la boite s'ouvrent à nouveau sur Jess, Sixtine et Emma. Je me relève et tente de me tenir droite pour garder un semblant de dignité. Hilena propose de nous laisser seules, je l'arrête d'une main.

— Ce n'est pas la peine, je vais rentrer chez moi.

Les épaules de Jess s'affaissent dans un semblant de déception. Puis, comme si une idée lumineuse venait de faire son apparition, cette dernière se redresse.

— Tu me ramènes?

Euh non... Le but c'est de te fuir.

— Je n'ai qu'un casque.

— Ya le mien dans le coffre d'Isa! s'empresse de crier Sixtine en dévalant les marches pour aller le chercher.

Sixtine... Jamais tan qu'en ce jour, je la maudis.