8-Jess

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Je gare mon scooter dans la cour de l'ancienne école primaire de la ville, aujourd'hui transformée en parking. Je laisse le sac de fringue sur le plancher de mon bolide à regarder la grande porte en bois sous la cloche en cuivre. Je sais ce que je vais trouver à l'intérieur. Le grand escalier en pierre qui dessert les anciennes salles de classe transformées en salle de musique où mon ancien prof de chant donne des cours dans une acoustique catastrophique. À l'étage inférieur, à droite, il y aura la bibliothèque municipale où une cinquantaine de livres se disputent la seule étagère. J'ai eu le temps de lire chacun d'eux deux fois avant d'avoir dû interrompre mon abonnement. Et à gauche, dans l'ancien réfectoire, le secours populaire.

C'est beaucoup plus difficile que je ne l'aurais pensé. Je n'ai aucune envie d'affronter le regard de pitié qui va accompagner mon entrée. Alors je fais ce que je fais toujours dans un moment pareil, j'attrape mon portable et cherche Sixtine dans mon répertoire. Elle décroche à la première sonnerie.

— Allo mon poussin, qu'est ce qu'il se passe?

— Je pense que c'est toi que je peux appeler poussin maintenant que tu es plus blonde que moi.

J'entends son rire de l'autre côté du téléphone et je me détends immédiatement.

— Il faut que j'aille au secours populaire, tu peux m'accompagner?

— Bien sur! En plus, ma mère me tanne depuis des semaines pour que j'amène des fringues là bas, j'arrive dans un quart d'heure.

Un quart d'heure plus tard, un scooter rose vient se garer à côté du mien. Sixtine ressemble à une tortue avec son gros sac de rando sur le dos. En enlevant son casque, elle comprend instantanément que je ne viens pas que pour un don. Illustration parfaite de la magie de Sixtine, elle comprend tout sans un mot. Elle vient prendre ma main pour m'accompagner jusqu'à notre destination.

Madame Serre, la responsable de l'association, est une retraitée bien en chaire très accueillante. Mon amie se charge de parler à ma place alors que nous déposons nos vieux vêtements sur une table.

— Cette demoiselle aurait besoin de pantalons à sa taille.

La bénévole s'attarde sur la pince à nourrice qui tient le plis fait à ma taille et acquiesce.

— En effet. Regardez si vous trouvez quelque chose pendant que je m'occupe de ce que vous m'avez apporter les filles.

Je l'aime bien cette dame. Elle n'a pas eu le regard de pitié auquel je m'attendais au dessus de ses joues rouges. Elle sourit, c'est tout.

En faisant le tour des portants et des étagères, je me rend compte de l'hypocrisie des gens de cette ville. Ils n'ont donné que des vêtements usés jusqu'à la corde, des vestes délavés, des baskets trouées ou des jogging démodés depuis vingt ans. C'est ma nouvelle vie, il faut que je m'y fasse, alors je cherche désespérément si quelque chose est en 34...

Madame Serre revient de la réserve.

— Oh non les filles, ne regardez pas là dedans, c'est pour les mamies. Venez par là, j'ai eu une arrivée avant la rentrée qui devrait beaucoup plus convenir à de belles jeunes femmes comme vous.

Elle se dirige vers le fond de la pièce. Sixtine et moi échangeons un sourire, elle est géniale. Elle nous parle comme si on était les clientes d'une boutique de prêt à porter. Elle nous sort quatre cartons tout propres qu'elle pose sur une table.

— Allez-y, jetez un oeil à la marchandise les filles.

Et là, j'hallucine. Des jeans diesel, levis, kaporal, des T-shirt le temps des cerises, des veste IKKS, des sweets pépé jeans, une échappe en soie et un pull cachemire... Tout à ma taille, c'est trop beau pour être vrai.

Sixtine, qui a littéralement plongé dans son carton m'interpelle du fond de son gouffre de tissu.

— J'y crois pas! C'est les fringues de Morgane!

Morgane... La reine du lycée de l'an dernier. Un père chef d'entreprise, une mère ancienne mannequin, mais surtout meilleure amie d'Hilena David. Je pensais ne plus jamais avoir à me confronter à miss parfaite depuis qu'elle est partie à la fac, mais non... En plus d'être belle, intelligente, drôle, toujours souriante et agréable, il fallait qu'en plus elle soit généreuse. Suis-je un monstre de détester la fille qui va sauver ma garde robe?

Sixtine me voit hésiter, le jean diesel entre les mains.

— Elle n'est plus là, dit-elle. Elle est dans une école qui coute un bras à 500 km d'ici. Si elle veut donner des fringues dont je n'oserais jamais rêver, autant en profiter.

— Je ne sais pas, dis-je pensive. Si on les a reconnu, d'autres le front.

Mon amie me regarde d'un air blasé, trois sweet superdry sous le bras.

— Il n'y a pas autant de monde que ça qui matte tes fesses, tu sais. Tu fais ce que tu veux, si tu préfères prendre le risque que ton pantalon te tombe aux genoux quand l'épingle à nourrice aura lâcher, c'est toi qui voit. Moi, je me sers.

— Sixtine!

Je fais semblant d'être outrée.

— T'as pas besoin de nouveaux vêtements!

Elle croise ses bras chargés devant elle.

— C'est pour les gens dans le besoin. Et j'ai véritablement besoin de ces bottines en cuir.

Madame Serre, derrière nous, hoche la tête pour confirmer qu'elle a le droit tan qu'on ne vide pas la réserve non plus. De toute façon, avec tout ce qu'il y a, ça ne rentrerait pas dans mon armoire. Je me contente de prendre l'essentiel pour remplacer ce que je viens de donner. Trois T-shirt, un chemisier, un pull, trois pantalons, un jogging pour le sport et le super jean Diesel que j'enfile directement au milieu de la pièce.

Madame Serre m'adresse un clin d'oeil accompagné d'un pouce en l'air. Je la remercie mille fois avant de m'en aller, Sixtine fait même demi tour pour la prendre dans ses bras. Je lui donne un coup de coude en sortant de l'édifice.

— Quoi, s'indigne-t-elle. Elle me fait penser à ma grand-mère en plus sympa. 

Dix minutes par jourOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz