9- Amelia

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 J'ai mal partout, j'ai l'impression de mettre fait passer à tabac. Il me faut plusieurs secondes pour me rappeler que oui, c'est bien le cas. Je me retourne sur le sol bétonné de ma cage. Les flics m'ont mise dans la cellule de dégrisement. Un mélange de gerbe et d'urine me remonte l'estomac. Un médecin est venu hier, je n'ai rien de cassé, à ma grande surprise, mais je pourrais jouer dans avatar avec tout le bleus qui recouvrent ma peau.

On est dimanche matin, ou dimanche soir. À vrai dire, je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Ils me font poireauter pour que j'avoue plus vite. Ils n'ont pas conscience que je compte bien assumer mes actes, aussi crétins soient-ils.

— Debout Nezzar. C'est l'heure du petit déj.

Je lève les yeux vers Courteix. Il est sérieux? S'il veut vraiment me faire plaisir, c'est une clope dont j'ai besoin. Il ouvre la grille, je frotte mon cuir pour faire tomber la crasse dont je ne me débarrasserai jamais et le suit vers son bureau. Ici, pas de vitre sans teint, pas de table métallique sans rien dessus, c'est juste un bureau normal avec un café qui m'attend dessus. C'est vraiment de la publicité mensongère les films américains. Le seul truc qui pourrait m'empêcher de m'enfuir à toutes jambes c'est le sas de sécurité de la gendarmerie qui ne s'ouvre qu'avec un badge.

Courteix prend place sur son fauteuil bas prix alors que j'attrape mon café de ma chaise ikéa. J'en profite, c'est surement le dernier vrai café que je bois avant très longtemps. Le vieux flic passe ses mains sur son visage, accablé par ses deux dernières nuits blanches. Il allume son ordi, je suis prête pour les aveux.

— Ok, dit-il. Il ne manque plus que ton témoignage.

Je me redresse d'un petit bon en arrière.

— Comment ça, mon témoignage.

Il prend une gorgée de son propre café et souffle.

— Les témoins ont relevé la plaque d'immatriculation de la voiture de l'agresseur. Veillac va éviter le procès donc il ne fera pas appel de la décision du procureur. Il ne manque plus que ton témoignage pour confirmer la version de Daniel.

Je ne comprend pas. Je suis pommée. Comment ça, de Daniel? Pourquoi l'ont-ils questionné avant moi?

Courteix comprend que je ne pige pas un broc de ce qu'il bave. Il souffle une deuxième fois, quelque chose le tracasse et ça n'a pas l'air d'être mon avenir. Il pivote sur sa chaise, va fermer la porte et revient à moi.

— Daniel a avoué.

Quoi? Daniel a avoué quoi?

Le flic me regarde dans les yeux.

— Amy, on sait tout les deux qu'il n'aurait jamais fait ça, et qu'à son âge, il n'aurait pas réussi même s'il avait voulu. Mais il n'y a pas eu de description physique de l'agresseur dans le flou de la bagarre, juste l'immatriculation de la voiture qui s'est enfuit. Sa voiture. Et comme Veillac ne veut absolument pas apparaitre dans un procès, il ne viendra pas vérifier qui est sur le banc des accusés, sans compter que deux de ses gars qui se font ramener par une fille, ce ne serait pas de la bonne pub pour ses affaires. Alors Daniel a avoué.

Il hésite un moment avant d'ajouter.

— À ta place.

Je le regarde plusieurs minutes, incrédule. Mon cerveau ne percute pas les informations qu'on lui balance. Ce n'est pas possible. Il n'a pas pu faire ça. Daniel est en provisoire, il va prendre du ferme, il va perdre le peu qu'il a juste... Pour moi.

— Mais non, je m'écris! C'est moi! Vous le savez très bien! Je ne le laisserai pas foutre sa vie en l'air pour mes conneries!

— Chut, m'arrête Courteix. Écoute moi Amelia. Je connais Daniel depuis longtemps maintenant. C'est même moi qui l'ait chopé pour ses premières combines. J'ai appris à apprécier cet homme. Il a eu des galères toute sa vie, il a essayé de s'en sortir de toutes les manières mais quelque chose l'a toujours remis dedans. La seul chose dont il est fière, c'est toi. La petite gamine qui l'écoutait quand il lui parlait, celle a qui il a pu apprendre ce qu'il savait, celle pour qui il avait des choses a offrir, celle qui le voyait plus comme un père que comme un balourd qui attirait les emmerdes.

Un boule se forme dans ma gorge et fait de dangereux aller-retours, j'ai les yeux qui piquent. Daniel, mais putain qu'est-ce que t'as fait?

— Il considère, continu Courteix, que sa vie est derrière lui et que jamais il n'arrivera à en faire ce qu'il souhaite. Alors il veut offrir une chance de t'en sortir, toi, pour que tu quittes cette fosse à purin dans laquelle tu t'enfonces.

—Non, dis-je les larmes aux yeux en secouant la tête de gauche à droite. Je ne veux pas. Il n'a pas a faire ça pour moi.

Courteix s'agenouille devant moi pour avoir ses yeux à hauteur des miens.

— Il t'offre une chance unique. Saisis là.

Je refuse, je ne veux pas foutre sa vie en l'air.

Quand il comprend que ne ne céderais pas, il utilise une autre approche.

— Si tu ne confirmes pas sa version, l'un de vous tombera pour faux témoignage et vous aurez tout les deux perdu, c'est ce que tu veux?

C'est à mon tour de me lever pour être à sa hauteur.

— Vous êtes flics merde, vous n'avez pas le droit d'arranger les témoignages à votre sauce!

— Non, acquiesce-t-il. Tu as raison. Mais Daniel est mon ami. Si je peux réparer une injustice de ce monde, je le ferais.

Je retombe sur ma chaise, cette fois les larmes montent. Je n'aurai jamais cru que Daniel, cette poche à bière un peu crados, qui m'offrait un canapé en échange d'un peu de boulot au black au garage, pourrait se révéler avoir l'âme d'un père. Je tente d'avaler ma salive mais la boule dans ma gorge refait un aller-retour douloureux qui m'arrache une grimace. J'inspire profondément. Ne pas pleurer, je ne suis pas une fillette ni une pleurnicheuse. Si je suis capable de planter un mec ce n'est pas pour chialer devant le sacrifice d'un gars pour lequel je n'avais pas assez d'estime.

Je relève la tête, toujours dans le déni.

— Il ne peut pas faire ça. S'il n'est plus là, je n'ai nul part où aller. Et il n'y aura personne pour s'occuper de payer les factures ou ouvrir le garage.

— Ne t'inquiète pas pour ça. Il est propriétaire. S'il ressort un jour, il retrouvera tout ses biens.

« S'il ressort un jour » Cette remarque me donne un coup dans l'estomac bien plus douloureux que tous les coups que j'ai reçu la veille.

— Il a des amis, dit Courteix. Ils s'occuperont de tout. Je ne pense pas qu'il risque plus de dix ans, il n'y a pas eu de mort. Et toi aussi tu as des amis.

— Ils ne vont pas m'entretenir, dis-je en reniflant.

— Non, mais ils ont appelé quelqu'un qui le fera.

Je sèche mes presque larmes, perplexe. Qui auraient-ils pu appeler? Mon père s'est barré quand j'avais 8 ans, ma mère va surement rester en désintox pour les vingts ans à venir.

Mon interlocuteur se rassoit d'un mouvement brusque, son fauteuil proteste d'un craquement sourde. Dans son uniforme usé, Courteix prend le clavier de son ordi.

— Aller Amy, je sais que tu n'en as pas envie mais rassure toi, moi non plus. Il faut juste que tu confirmes que tu as passé l'après-midi au garage et que Daniel t'as rejoint avant qu'on arrive.

Je l'interrompt, toujours en proie au même questionnement.

— Qui ont-ils appeler?

Il se racle la gorge, mal à l'aise, ce qui ne me rassure pas le moins du monde.

— Myriam. Elle ne devrait pas tarder à arriver.

J'avale ma salive en ignorant la douleur, elle est parfaitement minime par rapport à celle qui enserre mon coeur.

Myriam, ma soeur. 

Dix minutes par jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant