19-Amelia

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Je déteste ce lycée. Je déteste ses murs trop propres, ses élèves qui entrent en classe dés la sonnerie, mon prof de méca qui me prend pour une conne... Ce que je déteste par dessus tout, c'est les petits merdeux qui se permettent de parler sur le dos d'Hilena. OK, je ne suis pas pote avec cette fille mais on se parle dans le bus et elle me laisse manger à sa table avec son mec le midi. C'est pas une grande amitié, de toute façon je n'en voudrais pas, mais ça évite de se sentir trop seule.

Alors quand j'entend ce bâtard l'insulter devant le portail, c'est plus fort que moi. Je l'attrape par le col et le plaque contre le grillage. Je sens le sang tambouriner dans mes tempes. Je vais le démonter ce connard, il va comprendre qu'on insulte pas les filles comme ça.

— Répète ce que t'as dit, enfoiré! Vas-y, redis le devant moi!

J'entend Hilena au loin me dire d'arrêter mais j'ai déjà écrasé mon poing dans la gueule de ce petit con.

— Amy, non!

Elle fait l'erreur d'attraper mon bras pour me retenir, je la repousse un peu trop violemment. J'aime déjà pas qu'on me touche, c'est encore moins le moment.

Son armoire à glace ne fait pas la même erreur, comme s'il avait pressenti que ça ne ferait qu'envenimer les choses. Il place juste sa main entre le visage de la raclure de fond de chiotte et moi pour le soustraire à mon regard. Ça me déboussole une seconde et la petite merde en profite pour se tirer.

Très bien, ce ne sera pas contre lui que sera diriger ma colère. J'attrape Benjamin. Il est plus costaud et ne bouge pas de pouce, il ne me fait pas peur pour autant.

— Pourquoi tu m'as arrêté! C'est ta copine qu'on traite de pute à longueur de temps et tu ne fais rien.

Il se met à rire.

— Tu crois que ça m'amuse? dit-il de sa voix rauque comme si je venais de faire une plaisanterie. Si ça ne tenait qu'à moi, je les aurais déjà tous dégommer. C'est elle qui ne veut pas.

Il désigne Hilena d'un mouvement de la tête. Elle croise les bras à côté de nous, visiblement plus énervée contre moi que contre ceux qui l'insultent.

— Ça ne sert à rien. C'est un phénomène établi maintenant, comme une légende urbaine. « Hilena est une pute. » Point barre. Tiens regarde.

Elle se tourne vers la foule d'élèves qui attendent le bus.

— Bonjour Jessica, ça va?

— Ta gueule, salope.

Hilena hausse les épaules pendant que Jess passe son chemin. Elle croit avoir illustré sa théorie, moi je suis sur le cul. Jess, que je n'ai jamais entendu prononcé un gros mot depuis que je suis là, la fille avec qui je partage en secret des conversations nocturnes sur nos blessures intérieurs, la même personne qui chante tous les dimanche à l'église, vient de se comporter... Comme la garce pour laquelle elle veut passer. Je suis plus que choquée en fait, je suis déçue.

En montant dans le car, comme d'habitude, je m'assois à côté d'Hilena. Comme chaque soir, elle relève ses cheveux noirs et prend son carnet de je ne sais pas quoi et gribouille dedans.

— Ça ne t'agace pas ces insultes? je demande.

Elle me répond sans relever la tête.

— Si la question c'est: est-ce que ça me fait pleurer dés que je suis seule dans le noir? La réponse est non. Plus depuis longtemps.

— C'est parti de quoi?

— Ce n'est pas important, ça pourrait venir de n'importe où, ça ne changerait rien. J'ai des amis qui savent qui je suis, mon copain m'aime malgré ça, alors on s'en tape. Les gens qui le pensent ne méritent pas que je leur accorde de l'importance.

Mouais. Je croise les bras encore sous le joug de la colère, parce qu'il y a une personne, à qui j'étais en train de donner de l'importance sans m'en rendre compte, qui le pense. Je regarde Jess devant, la tête appuyée sur son copain plus petit qu'elle et je maudis un peu la règle qu'on s'est fixée de ne pas mélanger la vie réelle à nos conversations du soir. Il va falloir que je lui pose la question en direct.

Je me tourne vers Hilena, toujours la tête penchée sur le calepin. Je me rend compte que normalement, c'est moi qui m'installe près de la fenêtre pour que je n'ai pas à me relever quand elle descendra du bus. Mais pas aujourd'hui. Je peux alors voir un détail auquel je n'avais pas fait attention. Un signe chinois, tatoué juste derrière son oreille.

— Joli tatouage, tes parents t'ont laissé faire?

Elle relève la tête de son carnet, c'est la première fois que ça arrive en un mois.

— Ils étaient déjà morts quand je l'ai fait faire.

Elle a dit ça d'un ton neutre, dénué de toute émotion. Je ravale ma salive avec difficulté, j'en ai fait une là. J'essai de me rattraper comme je peux.

— Je suis désolée.

— Faut pas, dit-elle en replongeant dans ses écrits, tu n'y es pour rien.

Là, je me sens vraiment mal.

— Tu l'as fait pour eux?

— Non.

OK, autant arrêter le massacre. Je m'enfonce dans mon siège et préfère me taire. Elle doit percevoir que je me sens coupable et m'adresse un sourire timide.

— Ce n'est pas un tatouage, dit-elle presque amusée. C'est une cicatrice. Tu sais, celles qui te rappellent ta vie pourrie.

Oui, je comprend, j'en ai plein le dos.

Quand presque une heure plus tard, le bus s'arrête devant chez Myriam et Marc, je descend après Jess. Elle est en train de galèrer à ouvrir sa porte je pense, parce qu'elle reste plantée devant.

— Jess!

Elle se retourne, apparemment surprise. Il faut que je lui demande ce qu'il lui a pris devant le lycée. Et bizarrement, alors que je suis capable de foncer tête baissée devant un mec qui veut me tuer, je reste interdite devant ses grands yeux bleus.

— Fais gaffe à pas tomber sur tes échasses.

Voilà tout ce qui m'est venu, blaguer sur ses talons. J'ai perdu de mon mordant. 

Dix minutes par jourWhere stories live. Discover now