Dix minutes par jour

25- Amelia

 En ce mercredi après-midi, on m'a chargé de garder Léo sous prétexte que la princesse d'en face avait un truc important à rendre avant les vacances. J'ai accepté, à regrets, et le petit bonhomme fait du coloriage à même le goudron pendant que je m'affaire sur la bagnole de son vieux.

Elle démarre, enfin! C'est un miracle, mais il est de courte durée. Elle s'étouffe dès que j'accélère. Il doit y avoir une merde dans le carbu. Je n'ai aucune envie de tout redémonter pour le nettoyer, on va la faire au système D. J'ouvre le capot et commence à dévisser le collier de la durite au dessus du carburateur. Le petit pose son crayon en me regardant faire. Tiens, je le sens mal.

— Tata? Ça fait mal l'amour.

Il hérite d'un rire nerveux en guise de réponse. J'enlève la protection du carbu et mets ma main pour la remplacer. Je tire sur le câble d'accélérateur et enlève ma main d'un coup pour faire appel d'air. Avec un peu de chance, le truc va partir tout seul. Le petit n'en a pas fini avec ses questions.

— Il y a une fille à l'école qui arrête pas de me taper. Tu crois qu'elle est amoureuse de moi?

— Je ne suis pas certaine d'être la personne la mieux placée pour te répondre. Pourquoi tu me demandes ça à moi?

— Parce que Papa arrête pas de dire que tu en pinces pour la voisine.

Je me cogne la tête au capot en me relevant trop vite. Ça le fait marrer le petit con.

— Ben ton père ce trompe.

Je n'arrive pas à faire ce que je veux. Ma main est trop petite pour rendre le truc étanche, il me faudrait les deux, mais je ne pourrais pas tirer sur le câble d'accélérateur en même temps. Je jette un oeil à mon stagiaire.

— Et gamin, tu sais appuyer sur une pédale?

Un gigantesque sourire se déplie sur son visage. Il secoue la tête tellement vite de haut en bas que j'ai peur qu'elle se décroche. Je le fais passer derrière le volant en m'assurant que les parpaings qui servent de cales sont bien stables et que je suis au point mort, je lui indique sur quelle pédale appuyer et mets le moteur en route. À mon signal, il accélère. Après deux ou trois essais, enfin, Titine crache le glaire qui l'obstruait et reste en marche.

Youhou! Victoire! J'en sauterai presque de joie. Cette épave est en état de marche! Je tend la main vers le gosse qui tape dedans.

— Mon dieu! Mon bébé!

Avec le raffut du moteur allumé, je n'avais pas entendu Myriam se garer. Elle saute de sa caisse à peine arrêtée et vient sortir le petit de la voiture comme si elle était en flammes.

— Mais qu'est-ce qui t'a pris de le mettre derrière le volant! Il n'a que 4 ans! Tu aurais pu le blesser!

Je lui lance un regard blasé.

— Elle est sur cales, il n'y a même pas de roues. Il aurait pas été bien loin.

— C'est pas la question! Tu es inconsciente c'est tout! Je savais que c'était une mauvaise idée!

— Quoi? je m'énerve. De me confier le gosse ou de me prendre chez toi?

Elle retient un grondement de colère et demande au petit de rentrer.

— Je te prierai d'employer un autre ton avec moi.

— Et pourquoi! je hurle. J'arrive toujours pas à comprendre pourquoi je suis là alors que tu ne veux même pas de moi!

— Tu es là parce que j'avais promis de venir te chercher.

Elle a dit ça d'un ton posé, calme et ça me met hors de moi.

— C'était y'a dix ans qu'il fallait venir me chercher! Avant que je ne vois maman tomber dans la coke, avant que son mec me tape dessus, avant que je vois mes potes sur un lit d'hôpital pour avoir grandi dans un quartier de merde! T'aurai dû m'emmener avec toi quand tu es parties!

— J'avais 16 ans!

— J'en avais 6!

Elle ne trouve rien à redire à ça, qu'elle aille se faire foutre. Je coupe le moteur de l'épave de son crétin de mari et monte dans ma chambre en claquant la porte. J'ai envie de tout péter, j'ai envie de cramer cette baraque.

Mon ordi m'indique que j'ai une notification. Le message s'ouvre tout seul.

Jess: J'ai entendu crier, ça va?

Je me contente de fermer le volet du velux plutôt que de lui répondre. Qu'ils aillent tous se faire foutre.