16- Jess

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Il est 20h quand Myriam rentre de la pharmacie et me libère de la présence d'Amelia. Je traverse la route qui me sépare de la maison et en poussant la porte, je sais que quelque chose ne va pas. Mon père ronfle sur le canapé, jusque là rien d'anormal, mais c'est l'odeur qui règne dans la pièce qui exaspère mon inquiétude. La vodka.

Mes yeux se posent sur la bouteille qui gît aux pieds du canapé. Il est tombé si bas que ça... Ma mère va bientôt rentrer, malgré moi je veux éviter un nouveau conflit. Je m'avance d'un pas silencieux vers le salon, prend la bouteille et m'éloigne sans un bruit dans la cuisine. Je ne sais pas quoi faire de l'indice qui trône dans mes mains, alors je la planque derrière la machine à laver.

Ma main glisse dans la poche arrière de mon jean pour sortir ma paye. Je voudrais la donner à ma mère, avec ça, elle pourrait payer trois semaines de courses. Sauf que j'aimerai évité de lui donner en main propre pour échapper la grande conversation, celle où elle me dit qu'elle n'en a pas besoin, celle où ses yeux seront animés d'un mélange de tristesse et de colère. Il faut que je trouve un endroit où la mettre sans que mon père ne tombe dessus. Voilà à quoi j'en suis réduite. Planquer la bouteille de mon père pour pas que ma mère lui cri dessus, planquer le fric pour ma mère pour pas que mon père se rachète une bouteille... Je n'aurais jamais cru en arriver là.

Mais alors que je reste plantée au milieu de la cuisine, mes billets à la main, j'entend un grondement sourd derrière moi.

— C'est quoi cet argent, demande mon père d'une voix pâteuse?

En me retournant, je vois l'homme qui était mon héros tituber dans le couloir. Ses yeux sont presque jaunes et l'alcool qu'il a bu empeste jusqu'à moi.

— Ma paye.

— 150 euros pour une journée de baby-sitting, tu te moques de moi. Tu as demandé la charité aux voisins, c'est ça hein?

Je ne reconnais plus ses yeux. Ceux qu'il m'a transmit sont méconnaissables. La petite étincelle qui les animaient autrefois à disparut. Seul le dégoût les habite désormais.

— Myriam m'a payé des heures qu'elle me devait.

Ce qui est vrai. Il ne me croit pas pour autant et je vois ses mâchoires se crisper. Pour la première fois en 17 ans, j'ai peur de mon père. Mon coeur s'emballe à en devenir douloureux dans ma poitrine, mon souffle s'accélère, je me concentre sur ma respiration pour ne pas retomber dans une crise.

— C'est ça, prend moi pour un con. T'as fait quoi? T'as couché avec le pharmacien hein? T'as fait ta pute.

Je me prend ses mots en pleine figure comme autant de baffes. Mon père n'a jamais levé la main sur moi, mais je crois qu'aujourd'hui, ça m'aurait fait moins mal. Qui est cet inconnu face à moi? La douleur dans ma poitrine s'intensifie. Je manque d'air, sérieusement. Il faut que je sorte de là. Je fuis rapidement dans le jardin et claque la porte en attendant l'homme qui me cri qu'il n'a pas élevé:

— Un salope!

Je tente sans succès de respirer. Mes poumons ont beau s'actionner, aspirer, recracher, il n'y pas d'oxygène dans l'air autour de moi. Ça recommence. La douleur me brule de l'intérieur. Je cherche de l'air désespérément. La tête commence à me tourner et sans m'en rendre compte je me retrouve à genoux au milieu de la pelouse. Une aiguille imaginaire se fraie un chemin à travers me cotes et tente de m'achever. Ma vision se trouble, tout devient irréel autour de moi, j'ai l'impression que ce n'est pas de mon corps que sort ce sifflement inquiétant. Il faut que je respire, il faut que l'air atteigne mon sang. Je sens mon pouls ralentir alors que chaque battement de coeur me fait un mal de chien. Je vais mourir, là, asphyxiée au milieu d'un jardin.

J'entend au loin un cri. À travers mes larmes de douleur, je vois Amelia sauter le portail, elle se précipite vers moi en hurlant le nom de Marc. Je vois dans les yeux sa panique alors que je ne peux lui répondre que par le sifflement rauque qui sort de ma bouche. Je sens que je vais partir, je vais m'évanouir dans les bras de cette idiote. Elle regarde mes mains qui tremblent comme des feuilles, impuissante. Marc accourt avec un sac en papier.

Dieu merci, Marc sait toujours quoi faire. Il le plaque sur ma bouche et pose une main sur mon épaule pour me ramener à la réalité.

— Respire Jess, doucement, comme l'autre fois. Ça va passer, il faut que tu te détentes, tu le sais. On est là, tu n'es pas toute seule, tu vas y arriver, respire.

Doucement, la douleur se calme, ainsi que mon souffle. Au rythme du sac en papier qui se gonfle et se dégonfle, les taches noires qui embrumaient ma vue disparaissent peu à peu.

La voiture de ma mère apparait dans l'allée, elle court avec ses talons pour rejoindre sa fille. Je vois ses épaules retomber de soulagement quand Marc enlève le sac et que mes lèvres reprennent des couleurs.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ma chérie? Pourquoi ça a recommencé?

Je fais non de la tête, incapable de parler, surtout devant ses deux étrangers qui n'ont pas à savoir que ma mère va ouvrir la porte sur son mari en train de dormir sur le planché du salon. Non, la vie de cette maison ne doit pas être ouverte au monde extérieur.

Dix minutes par jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant