27- Amelia

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 Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre Jess et Julien, mais j'ai vu le gars se prendre une droite de la petite Sixtine devant le lycée. C'était jouissif. Quand à Barbie, elle est dans un sale état dans le bus. La tête appuyée sur la vitre, elle regarde défiler le paysage, perdue dans un monde qui n'a pas l'air très joyeux.

Peu importe. Elle n'a pas l'air bien mais n'est pas à l'agonie. Je n'ai aucune raison d'aller lui demander ce qu'il se passe alors qu'elle joue avec moi. Je n'ai toujours pas digéré le coup de parler de Rémi comme elle l'a fait. Ce qu'on se disait sur le net, c'était censé rester sur nos ordis, ça ne devait en aucun cas se retrouver cracher à la gueule de l'autre dans le seul but de la blesser.

De toute façon, autre chose me tracasse, quelque chose que je repousse depuis une semaine, mais vu que c'est pour ce soir, je n'ai plus vraiment le choix.

Comme prévu, quand je descend du bus, Myriam et Marc sont déjà là. C'est le soir des vacances de la Toussaint, ils ont laissé la pharmacie à leurs employés pour aller chercher le petit dés la sortie de l'école. J'inspire un grand coup avant de pousser la porte.

Myriam est sur son ordi, Marc nettoie le frigo et Léo saute à pieds joints sur ses petites voitures en se prenant pour Gotzillla. Il était peut-être un peu petit pour que je lui montre ce film... Bref, il faut que je me lance, je n'ai plus le choix.

— Je suis invitée à une soirée ce soir, je déclare d'une traite.

C'est la première fois de ma vie que j'ai besoin de demander la permission pour faire quelque chose, je ne sais pas si je m'y suis bien prise. Marc sort la tête du frigo.

— Chez qui?

— Une certaine Morgane Cheminade.

— Je connais bien ses parents, oui, tu peux y aller.

Je souris, c'était presque trop facile. Sauf qu'il reste un petit souci à régler.

— Vous pourrez m'emmener? Et... Venir me chercher?

— Hors de question, répond Myriam en me regardant par dessus ses lunettes.

— Mais on habite à 10 bornes de toute civilisation, comment je fais pour me déplacer sans vous?

J'aurais bien l'idée de piquer la 204 mais je n'ai pas encore reçu les pneus...

— Ce n'est pas mon problème, répond ma soeur. Je ne vais pas me lever en pleine nuit pour te courir après.

Marc se redresse en râlant un peu.

— Ce que ta soeur veut dire, c'est que nous ne sommes pas là ce soir. Tu as le permis 50 centimètres cubes il me semble.

Je confirme. Daniel me l'avait payé pour mes 16 ans dans l'espoir que j'arrête de lui piquer sa caisse. Sauf qu'on a jamais eu les tunes pour que j'achète la moto qui allait avec alors il n'y avait pas bien d'intérêt.

— Très bien, laisse moi ranger ça et on descend en ville.

— Tu plaisantes?! nous exclamons nous en duo avec Myriam.

— Tu ne vas pas lui acheter une moto!

— À moins que tu veuilles faire correspondre vos emplois du temps, je ne vois pas comment faire autrement. Et puis, comme ça, elle pourras trouver un job en ville quand elle aura fini ma voiture.

Myriam repousse l'idée de la main d'un geste jemenfoutiste. Léo enfile déjà sa veste pour venir au magasin de moto mais son papa lui demande de rester.

On se gare sur le parking d'un concessionnaire et je me jète immédiatement sur la Greystone en exposition. C'est une occase mais je connais ce modèle, c'est une 2T, donc débridable, et avec son petit côté rétro, je surkiffe. Je craque littéralement. Marc me sourit, va parler au vendeur, lui fait baisser le prix de 500 balles, je suis impressionnée. Il remplit des papiers pendant une bonne demi heure et déclare qu'on revient dès qu'on l'aura assuré. Il fait le même cirque chez l'assureur en négociant à mort, ça me fait sourire, mais surtout, j'ai un petit pincement au coeur quand ils me font signer les papiers. Elle sera à moi, officiellement. Marc paiera l'assurance mais il compte bien que je le rembourse, rien ne pouvait me faire plus plaisir.

En entrant dans la voiture, il me file la carte grise et l'assurance, j'en verserai presque ma larme. Mais mon bonheur est de courte durée, tout cela à un prix. Avant de redémarrer pour aller chercher le petit bijou, Marc veut parler.

— Ne sois pas trop dure avec ta soeur, me demande-t-il. Ce n'est pas facile pour elle.

Je m'enfonce dans le siège en cuir de son 4x4 et pose mes pieds sur le tableau de bord.

— Parce que pour moi c'est une partie de plaisir, je rétorque.

Je vois les mains de Marc enserrer le volant alors que nous sommes à l'arrêt.

— J'ai connu ta soeur à la fac de pharma, attaque-t-il les yeux vers le pare-brise. Un soir, à la fin d'une soirée étudiante, nous n'étions plus qu'une dizaine. Quelqu'un a demandé, « pourquoi avez-vous choisi pharma? » La majorité a répondu l'argent ou « moins d'heures que médecine ». Moi, encore crédule, j'ai répondu « pour soigner les gens ». Ta soeur, elle, un peu en retrait avec son air sombre qui faisait peur à tout le monde a déclaré solennellement « pour ma petite soeur ».

Je ne crois pas une seconde à son baratin et lui fait bien comprendre, il ne s'arrête pas pour autant.

— C'est à partir de ce soir là que la mystérieuse renfrognée du dernier rang m'a intrigué. J'ai mis très, très longtemps avant de la faire parler. Heureusement qu'on avait un doctorat à passer sinon je n'aurais pas eu le temps de l'apprivoisé, s'amuse-t-il. Elle m'a raconté sa vie, comment elle avait galéré après avoir été mise à la porte, comment elle était passée de foyers en foyers et les nuits passées dehors sans jamais louper un jour de lycée. L'avocate qui l'avait aidé à se faire émanciper légalement. Les difficultés de la paperasse pour avoir des bourses, les logements étudiants insalubres qu'elle pouvait tout juste se payer. Et quand je lui ai demandé comment elle avait fait pour ne pas lâcher prise, elle m'a répondu « quand s'en sera fini de la galère, je pourrais aller chercher ma petite soeur ».

Je le regarde en me foutant à moitié de sa gueule, il n'espère quand même pas que je vais gober ça.

— Ôte moi d'un doute, ça fait combien de temps que vous n'êtes plus en galère?

Là, il se met à rire.

— On l'est toujours. Ta soeur est tombée enceinte avant qu'on ait notre diplôme, ensuite on a acheté la pharmacie et sur le coup, l'argent ne coulait pas à flot et puis... Il faut que tu comprennes quelque chose. Ta soeur a été détruite, elle s'est reconstruite elle même, un peu comme elle pouvait. Et, à chaque fois qu'elle y est arrivée, la vie lui a renvoyé un boulet de canon en pleine figure. Je l'aide comme je peux, mais aujourd'hui encore, elle est loin d'être solide. Quand Rémi a appelé, elle ne voulait pas venir te chercher, c'est moi qui l'ai forcé je l'avoue, parce que je pense que tu vas la rendre plus forte. Mais si elle ne voulait pas de toi, ce n'est pas parce qu'elle ne tient pas à toi, ou qu'elle ne te croit pas assez bien pour sa nouvelle vie comme tu sembles le penser. Non, c'est elle qui ne se sent pas à la hauteur.

J'ai un temps d'hésitation, il a l'air sincère ce con. J'hésite. Je fais mine de le croire d'une léger mouvement de tête. Tout ce que je veux, là, tout de suite, c'est pouvoir conduire ma nouvelle bécane. 

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