Chapitre 41: Transe, film et fleurs de cerisier

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Mon impression que la soirée de mon anniversaire courait de plus en plus vers une mascarade certaine ne fit alors que s'accroître. Je ne pouvais que me demander comment tout cela allait finir...

Dès que Hansi et Rosalie furent hors de notre vue, Tristan m'entraîna brusquement vers le stand à pop-corn, ignorant effrontément le caporal-chef.

Tristan (maugréant, furieux): S'il ose ne serait-ce que te parler, il aura affaire à moi, ton caporal-chef.
[T/P] (découragée par l'attitude de Tristan et de Rivaille): Je te déconseille de lui chercher des noises...
Caporal-chef (en bousculant Tristan intentionnellement): Attendez-moi, merde.
Tristan (arrêtant de marcher, se retournant vers Rivaille brusquement, en transe): Putain, Rivaille ! Je t'avais dit de ne pas créer de problèmes !
[T/P] (choquée, ne comprenant rien): Tri— Tristan... ?
Caporal-chef (en fronçant les sourcils): ... Hein ?
Tristan (s'adressant à Rivaille): Tu as oublié pourquoi on était ici, ou quoi ?
Caporal-chef (perdu dans ses souvenirs): ...Non ?
Tristan (furibond): Alors, prends sur toi !
[T/P] (perdue): C'est bon, les gars, on s'en va juste acheter du pop-corn...
Tristan (clignant des yeux plusieurs fois): Du... pop-corn ? (puis, après un moment) Ah oui, c'est vrai.

Mon ami reprit alors la marche, comme si l'altercation des dernières secondes n'avait jamais eu lieu. Quant au caporal-chef, il semblait perdu dans ses pensées, complètement effacé de la réalité. Il nous suivait toujours, mais n'émit plus aucun commentaire, et arborait un regard sombre. Pour ma part, j'étais complètement perdue: je ne comprenais pas la réaction exagérée de Tristan, ni celle du caporal...

L'achat du pop-corn se fit sans autre incident, et nous rejoignîmes les filles avec trois énormes sacs dégoulinant de beurre et emplis d'une quantité démesurée de grains de maïs.

Hansi (en regardant les sacs avec des yeux ronds): Ça sent bon... !
Caporal-chef (en roulant les yeux): Tch. Ça sent le vomi, espèce de binoclarde.
Rosalie (en humant le pop-corn): Mais pas du tout, qu'est-ce que tu racontes ?!
Tristan (mauvais): C'est parce que c'est lui qui sent le vomi.
Tout le monde (malaisé par la réplique de Tristan): ...
[T/P] (s'impatientant): Pourrait-on, s'il-vous-plaît, se hater et se diriger vers la salle du film avant de manquer celui-ci je vous pris ?
Rosalie (en souriant): Bien sûr, madame la fêtée !

L'atmosphère devenait de plus en plus tendue, et j'espérais qu'en rentrant dans la salle de projection, le silence étant obligatoire, la discorde s'estomperait un peu. Nous nous dirigeâmes tous vers la direction indiquée par nos billets, choisîmes nos sièges dans la rangée du fond, et fixâmes notre attention sur l'écran. À mon grand soulagement, je me trouvais entre Hansi et Rosalie: les garçons allaient pouvoir me laisser tranquille pendant les 2h de la diffusion. Comme je l'avais prédit, la tension se relâcha quelque peu, et je pus enfin me permettre de me détendre depuis que j'avais mis les pieds dans ce cinéma.

La première heure se passa bien. Tout le monde semblait absorbé par l'histoire présentée à l'écran, Rivaille et Hansi plus que personne. Cependant, vers la moitié du film, Rosalie se leva pour aller à la salle de bain, laissant une place libre entre le caporal-chef et moi. Malgré moi, je déviai mon regard de l'écran pour l'observer: je n'avais pu résister à la tentation. Toutefois, il le remarqua, et me dévisagea à son tour. J'évitai alors ses yeux interrogateurs et reportai mon attention sur l'action du film. Mais le caporal ne fit pas comme si rien ne s'était passé, comme je le souhaitais. Non, il osa prendre la place de Rosalie, toujours en me regardant.

Caporal-chef: Il y a quelque chose ?
[T/P] (amère, ne quittant pas l'écran des yeux): Regarde le film, Rivaille.

Il soupira, hésita un moment, et reprit son ancienne place. Il savait qu'il n'avait rien à me dire, et moi, rien à lui dire. Cette histoire tournait en rond: il fallait tourner la page. Et pourtant, je ne pus empêcher mon coeur de ressentir un petit pincement au moment où il reporta son attention à l'écran. C'était la première fois que Rivaille regardait un film... j'aurais aimé, pendant un court instant, qu'il me confie son opinion sur ce qu'il se passait présentement à l'écran, simplement pour retrouver notre amitié. Notre ancienne complicité... Notre complicité d'avant... Je retournais tout cela dans ma tête au moment où j'aperçus mon amie revenir. En tout cas, une chose était sûre: ce n'était pas en restant là, entre Hansi et Rosalie que ma relation avec Rivaille allait changer. Au dernier moment, je changeai donc de place, sous le regard surpris du caporal-chef, et celui satisfait de Rosalie.

Caporal-chef (chuchotant): Qu'est-ce que tu fais, espèce de merdeuse ?
[T/P] (esquissant un sourire désespéré): La pire bêtise de l'Univers ?
Caporal-chef (en roulant les yeux): Tch.

Il reporta alors son attention sur les protagonistes, mais je pus sentir qu'il était heureux d'être assis tout prêt de ma silhouette... tout comme moi. La tension avait monté d'un cran, et c'est alors que je réalisai ce que j'aurais dû comprendre depuis des lustres déjà: il m'était impossible d'ignorer la présence du caporal-chef, tout comme il lui était impossible d'ignorer la mienne. Nous étions trop semblables. Et, à moins de couper définitivement les ponts, il allait être impossible de ne pas se réconcilier.

Je passai le reste du film à faire des commentaires à voix basse sur les actions à Rivaille, au grand déplaisir de nos voisins de siège. Celui-ci me répondait par monosyllabes ou avec sarcasme, mais cela ne me dérangeait pas, car la simple étincelle dans ses yeux me suffisait pour me convaincre que je ne m'étais pas trompée en changeant de place.

...

Lorsque le générique apparut finalement sur l'écran, nous sortîmes tous de la salle, encore transportés par la fin de notre film. Sans être complètement revenue, une légère tension tourmentait notre groupe, mais je ne m'en faisais pas trop. En vérité, c'était surtout à cause de Tristan, qui m'en voulait d'avoir « fraternisé avec l'ennemi ». Je lui avais rétorqué que c'était ma fête, et que j'avais assez tourmenté mes invités ainsi, mais il ne voulait rien entendre.

Heureusement, nous passâmes rapidement les portes du cinéma, et il fut déjà le temps des adieux. Rosalie et Tristan se dirigèrent vers le métro, l'une après m'avoir fait un clin d'oeil complice, et l'autre après m'avoir fait des gros yeux.

Rosalie (en agitant sa main): Nous te donnerons tes cadeaux lundi, à l'école. C'était super, comme soirée ! À plus !

Après les avoir vus disparaître dans les escaliers souterrains, Hansi, Rivaille et moi entreprîmes la marche vers ma maison, qui n'était pas trop loin du cinéma. Nous passâmes alors devant le parc auquel j'avais l'habitude d'aller, petite, pour observer les plantes. C'est soudain que j'eus une idée.

[T/P] (en pointant le panneau annonçant l'entrée du parc): On fait un tour ? J'aimerais tellement vous montrer les cerisiers en fleurs ! Ils sont magnifiques, cette année. Cela ne prendra pas beaucoup de temps !
Hansi (en consultant la montre de [T/P]): Euh... pour ma part, je ne peux pas, [T/P]. Il faut que je termine une expérience très importante, et je suis déjà un peu en retard.

Elle s'éclipsa alors, après m'avoir fait promettre de lui raconter dès que je le pourrai mon entretien avec Rovoff. Je ne pus m'empêcher de la regarder partir en plissant les yeux, me demandant si elle n'allait pas plutôt aller faire son rapport à Erwin sur sa soirée avec moi au cinéma, lui racontant tout ce qu'elle avait appris sur notre monde pour le bien du plan du bataillon.

Caporal-chef (s'impatientant): Alors, tu nous emmènes les voir, ces cerisiers en fleurs, espèce de merdeuse ? J'ai pas toute la soirée, tch.
[T/P] (sursautant): Oh ! J'avais oublié... Euh, viens !

Maintenant que Hansi était partie, une ballade au parc était tout sauf une bonne idée... Toutefois, il était trop tard pour rebrousser chemin. Je guidai donc le caporal-chef au travers des sentiers parsemés de plantes. Arrivée au milieu du chemin, je changeai subitement d'idée, et emmenai plutôt Rivaille à mon endroit préféré: là où il y avait les plants de marguerites. C'était bien moins impressionnant, mais je ne m'en faisais pas: c'était un lieu important pour moi, et je savais que le caporal allait comprendre. Une fois arrivés, nous observâmes le paysage un moment, avant que Rivaille ne me prenne le poignet et m'entraîne vers le banc le plus proche.

Nos deux mondes... [𝐑𝐢𝐯𝐚𝐢𝐥𝐥𝐞 𝐗 𝐑𝐞𝐚𝐝𝐞𝐫]Where stories live. Discover now