Je me dirigeai machinalement vers la cuisine, la démarche lente. Une odeur alléchante se dégageait du réfrigérateur. L'appel du sang, songeai-je.

Je fis quelques pas puis stoppait net. Mes parents ne contestaient pas. Peut-être étaient-ils toujours occupés à leur confrontation visuelle. J'avançai encore, au ralenti. Mon bras s'éleva, je saisis la poignée.

La porte s'ouvrit.

Au milieu des innombrables boissons et aliments qui me dégoûtaient, se trouvaient deux poches de sang. Son odeur était peu étouffée malgré le plastique fin qui le comportait. Mon regard s'illumina, et j'attrapai l'une d'elles. Je ne pris pas la peine de regarder mes parents, mais pris leur silence comme un accord et arrachai le bouchon à l'aide de mes dents.

Je bus d'abord une première gorgée pour savourer ce goût onctueux et unique, puis j'avalai la suite d'un trait, tordant l'emballage dans tous les sens pour ne pas perdre une seule goutte.

Mon met rapidement ingurgité, je posai mon regard sur une seconde poche de sang, mais mon père se posta devant moi au moment où j'allais empoigner la boisson. Je le regardai froidement tandis qu'un grognement monta du fond de ma gorge, mais ne protestai pas. Les secondes s'égrenaient, interminables. Finalement, ma mère s'avança, la mine jubileuse, et déclara sans s'embourber d'avant-propos :

- Je constate que tu te contrôle bien. Très bien même. Tu es donc apte à retourner au lycée dès lundi.

J'étais outrée. Je ne pus régir durant un long instant, tellement choquée par son changement d'avis si soudain. Je restai plantée là, le visage tourné à moitié vers ma mère. Ils m'avaient tendu un piège ! Une frénésie dévastatrice s'empara de moi, coulant fièrement et durement dans mes veines. Quelques secondes plus tôt, elle était entièrement de mon côté, s'opposant à mon père. À ce moment, je la méprisai. Ma vivacité due à mon repas n'avait pas disparu. Suite à la colère, mes yeux étaient rouges, et les veines saillantes étaient apparues en même temps que mes crocs étaient descendus. J'aurais dû être repoussante, mais au lieu de ça, ma mère se livra à un regard plein de sous-entendus et de dominance de ses yeux couleur ambre, miroitant comme du feu. Prenant son regard comme menace, je me jetai sur elle, de toutes mes forces, animée par un hurlement de rage.

Je plantai mes crocs dans son cou pour lui déchiqueter la chair, puis je la soulevai du sol tout en l'étranglant. Jamais je n'avais eu autant de puissance. C'était fort plaisant de se sentir si forte. Mes crocs étaient toujours aussi apparents tout comme ceux de ma mère, et j'émis un long grognement furieux.

L'air lui manqua et ce fut à ce moment que mon père entra en scène. Avant cela, il était resté figé j'ignorais pour quelle raison à nous contempler de ses yeux effrayés et paralysés. Ça ne lui ressemblait pas, de perdre son sang-froid.

En un clin d'œil, il me prit par les bras qu'il me brisa au niveau des épaules et m'envoya valdinguer contre l'étagère au fond de la pièce. Je reçus un choc violent sur la nuque, alors que la douleur fusait dans tout mon corps, aiguisée par le heurt du meuble en acajou. Je ne parvenais plus à respirer. Je fermai les yeux le temps de reprendre des forces, en attendant que mes os se ressoudent. Lorsque je les rouvris, ma mère était assise par terre sur le tapis aux teintes claires, peint de multiples motifs orientaux. Mon père à ses côtés, la réconfortait en lui passant sa main dans le dos, et en lui donnant de son sang.

Il lui faisait reprendre des forces en la nourrissant alors que rien de grave ne lui était arrivé. À part la profonde blessure que tu lui as infligé, se sentit obligée d'ajouter une petite voix.

Et moi, à qui il avait presque arraché les bras, et qui m'étais brisé quelques cervicales par-dessus le marché, il ne me donnait rien. Même pas un regard.

D'une rage dévastatrice je me relevai, faisant taire la souffrance, et jetant au loin les débris de l'étagère. Je montai ensuite avec une vitesse exceptionnelle dans ma chambre, me jetai sur mon lit, enfouis ma tête dans mon coussin rouge en forme de cœur, et vociférai, mes cris étouffés par l'oreiller. J'y enfonçai les poings hargneusement, déchirant le tissu en velours à l'aide de mes ongles, faisant s'éparpiller les plumes d'oie. Je me surpris à m'attaquer au montant de mon lit, également. Puis je me ruai vers ma coiffeuse et dis dégager d'un coup de bras irascible tous les objets qu'elle contenait, avant de briser la glace d'un coup de poing encore plus agressif. Jamais je ne m'étais emportée de la sorte, mais je n'en avais rien à faire. Une fois que j'avais perdu mon sang-froid, j'étais difficile à calmer. Mais cette faible résolution se mua en un acharnement vorace et j'envoyais finalement valser tous les cadres photos, ainsi que le tableau peint par mon père, à travers la fenêtre. Je m'étais bien brisé les os, dans ma pugnacité implacable, mais ceux-ci guérissaient presque instantanément. J'inspirai profondément, finalement prête à m'apaiser et m'assis sur le lit dans un douceur ironique.

Je repensais à tout ce que j'avais enduré depuis mon anniversaire. Pourquoi n'étais-je pas comme Clara, une humaine ordinaire, débordant de vie, voyant toujours les choses du bon côté ? On m'avait capturée, puis retenue en otage, en m'empêchant de contacter ma meilleure amie qui s'inquiétait énormément pour moi. On m'avait vidée de mon sang, tuée puis ressuscitée et on m'avait appris que je subissais une malédiction et que je devais la briser sans même m'expliquer en quoi cette absurdité consistait. Ensuite, mes parents avaient fait mine d'être là pour moi, pour me soutenir, alors qu'à la fin, mon père m'avait enfoncé une seringue bien profondément dans le dos, pour m'évanouir et me neutraliser. Et -cerise sur le gâteau-, ils tenaient absolument à ce que je retourne au lycée dès le début de semaine prochaine ! Avaient-ils perdu la tête ? Ou était-ce ces multiples événements si récents qui les chamboulaient eux aussi ?

J'entendis des pas réguliers monter les escaliers, et compris qu'il s'agissait de ma mère. Elle toqua à la porte, puis l'ouvrit, sans franchir l'encadrement.

- Ne sous-estime pas ta force, Roxane (je ne lui répondis pas, alors elle poursuivit :) Écoute, je comprends tout à fait ton mécontentement, mais ce que tu as fait ce soir m'a énormément blessée, plus moralement que physiquement. Je ne t'aurais jamais crue capable de me faire ça.

Eh bien maintenant, tu le sais. Je lui jetai un faible regard attristé et alourdi par la souffrance que j'éprouvais. Je ressentais presque de la compassion et l'envie de m'excuser me déchira le cœur. Mais je n'en fis rien. C'était moi qui étais à plaindre.

- Je t'excuse, mais en revanche, tu retourneras au lycée, dit-elle sincèrement.

Oublions la compassion et les excuses. J'ignorais ce qui me retenait de lui briser la nuque ! N'avait-elle pas pris en compte mon avertissement de tout à l'heure ? Alors que je me sentis fulminer à nouveau, elle ajouta d'un ton neutre :

- Demain, nous avons un rendez-vous avec la famille Jackson. Fais en sorte d'être présentable, dit-elle sur un ton méprisant en posant sur ma commode une robe de dentelle noire.

Je ne pris pas la peine de la regarder de façon plus détaillée. Je fermai les yeux, et m'assoupis.

Mon sommeil fut tourmenté par des cauchemars. Tout d'abord je me réveillai chez moi, puis je tuai ma mère sans aucun scrupule. Ensuite, mon père m'avait emmenée de force au lycée, et, après avoir tué une bonne vingtaine de personne, j'avais réduit l'établissement en cendres. Et pour finir, je m'étais nourrie du sang de Clara au cinéma.

La nature de Roxane - tome 1 : MauditsWhere stories live. Discover now