Chapitre 30

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CHAPITRE 30

Mon cœur s'arrêta de battre un instant tant j'étais sidérée. Mes mains moites tremblaient le long de mon corps, et j'avais du mal à tenir debout. À tout moment je risquais de tomber sur les feuilles sèches de l'automne et sombrer. Mais j'étais toujours debout, subissant la torture de la révélation. Ce goût âpre dans la bouche, ces tâches qui envahissaient ma vue et la course saccadée qu'effectuait mon cœur étaient en parfait désaccord avec la forêt, calme et insouciante, égayée de chants d'oiseaux. Aaron dû remarquer la pâleur de mon visage, car il posa une main tiède, contrastant avec la froideur de mon corps, sur mon épaule.

- Tu veux t'asseoir ?

Je parvins finalement à prendre la parole.

- Co... comment tu peux être sûr que c'est elle ? Que c'est Sally que tu as vue ?

Il déglutit, regarda derrière-moi, puis ses yeux rassurants se posèrent sur les miens, tandis qu'il augmentait la pression de ses mains sur mes épaules.

- Je l'ai vue, répéta-t-il. Il n'y a pas trente-six blondes au cheveux bouclés avec des pensées envenimées. Je ne me suis pas trompé, crois-moi.

- Oui, je te crois, mais... pourquoi aurait-elle fait ça ? balbutiai-je. Rien ne prouve que c'est elle qui m'a droguée et qui a mis ce cadavre dans mon placard. Peut-être qu'elle l'a juste mordu, et que Turner a fini le travail en le tuant et l'amenant dans ma chambre. Et Lucy, dans tout ça ? Je ne sais même pas où elle est, ni si elle va bien ! Peut-être que ce message lui était destiné après tout ? Je crois que je vais devenir folle avec tout ça, j'en ai marre.

Je luttai du mieux que je pus pour retenir les larmes qui me brûlaient les yeux et attisaient ma gorge, mais quand Aaron déposa un léger baiser sur le haut de mon crâne et me chuchota qu'il était là pour moi, je ne pus empêcher les sanglots de s'échapper. J'étais pourtant bien protégée contre le torse musclé et chaud d'Aaron, son parfum boisé et son menton sur le dessus de ma tête.

Il murmura :

- Fais abstraction des problèmes pendant quelques minutes. Oublie la menace qui plane au-dessus de ta tête et fais le vide.

- Mais comment ? Comment oublier tout ce qui me poursuit comme une horde de chiens enragés prêts à me sauter dessus et me déchiqueter ? Comment oublier à quel point ma famille me manque ? À quel point mon ancienne vie me manque ? C'est tout bonnement impossible, Aaron.

Il se tut un instant, ses bras toujours aussi protecteurs autour de moi. Il prit mon visage entre ses mains et souleva mon menton.

- Tu sais, ta marque ? Eh bien, je la vois. J'ignore pourquoi moi et pas les autres, mais j'en suis capable. Je sais qu'elle démarre du creux de ton poignet et qu'elle s'étend à présent jusqu'au-dessus du coude, dit-il en traçant les contours sinueux des arabesques qui m'envoyèrent un millier de chocs dans tout le corps. Et je sais aussi qu'elle n'a pas terminé son évolution. Fais-moi confiance, je te mènerai jusqu'au bout et plus loin encore. Peu importe ce qui se dressera sur notre chemin, parce que c'est toi que j'ai choisie. Pas ma meute, ni ma routine de petit loup-garou fils à son papa, pas même mes amis. Mais toi. Je t'aime et je serai là pour toi aussi longtemps que tu en auras besoin.

Alors que le choc aurait dû être la première émotion à ressentir, j'avais plus l'impression d'être bercée par une douce voix optimiste et sûre, qui me promettait sa présence permanente. C'était comme si je l'avais toujours su, au fond de moi, mais que la vérité formait enfin des mots audibles et impossibles à ignorer. Mais je ne pus lui répondre, parce qu'au fond, j'étais quand même pétrifiée à l'idée de m'aventurer dans ce terrain-là. Je n'avais jamais été aimée par un homme, autre que mon père. Je ne savais pas ce qu'était l'amour. Et de ce fait, je fus sans voix, ne sachant pas quoi répondre à sa déclaration. C'était bien la chose la plus improbable de la journée. J'aurais pu m'attendre à me faire capturer par Turner et ses acolytes, retrouver un nouveau cadavre laissé par Sally, apprendre qu'un malheur était arrivé à ma famille ou à Clara, mais pas cela. Je ne savais même pas ce que je ressentais pour Aaron.

La nature de Roxane - tome 1 : MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant