Chapitre 3

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CHAPITRE 3

Chad avait débouché une poche de sang qu'il me secoua sous le nez jusqu'à ce que j'ouvre les yeux. J'avais l'impression que du sable s'était incrusté sous mes paupières et la sensation atteignait la quintessence du désagréable. Mon estomac se tordait dans tous les sens imaginables à cause de ma faim monstrueuse, et je savais d'avance que mes kidnappeurs refuseraient de me nourrir humainement tant que je n'aurais pas ingérer cette boisson poisseuse.

Je me demandais combien de temps il me restait à vivre...

- Tu as décidé d’en finir ? me demanda Kayna, qui avait perdu sa frivolité et son détachement habituels.

J'entendis vaguement des bruits de pas approcher mais me dis que je rêvais. Pourtant, Kayna tourna la tête au même moment, un sourire triomphal sur les lèvres.

- Qu'est-ce que... commençai-je avant d'être coupée.

- D’en finir avec quoi ? résonna une voix familière.

Mon cœur fit une embardée en même temps qu'un regain d'espoir me submergea.

- Papa ? Qu’est-ce que tu fais là ? 

Je me levai en vitesse et lui sautai dans les bras, tandis que ma vue devenait floue.

- Je suis venu assister à la transformation de ma fille ! affirma-t-il avec enthousiasme.

Je crus que j'allais m'étouffer. Alors c'était pour ça qu'il était là ?

- Tu crois à leur baratin, toi aussi ? Mais enfin ! Redescendez sur terre ! (Je pris ma tête entre mes mains et me massai les tempes) Vous ne vous êtes jamais remis en question ? C'est quoi ce délire ! (Après une courte pause, je repris :) De toute façon, même si cela se révélait réel, je ne courrai pas le risque de vivre éternellement et de tuer des centaines de personnes. Je me laisserai mourir.

Son expression perdit aussitôt de sa jovialité et il serra les dents au point de les faire craquer.

- Tu ne peux pas mourir. Tu ne veux pas mourir. Ta perte serait plus blessante que si tu tuais des dizaines de personnes !

- Il ne s'agit pas seulement de dizaines de personnes. Que vais-je dire aux autres, maintenant ? À ceux du lycée, lorsque je ne mangerai rien à la cantine ? À mes amis, quand je refuserai de me rendre à la plage ? Ou quand ils m'inviteront au restaurant ? Ou encore à Clara lorsqu'elle me proposera ses antiques infusions à la verveine ?

- Tu n'auras rien à leur dire.

Je crus tout d'abord qu'il plaisantait, mais son visage me laissa deviner le contraire. Décidément, je n'étais pas au bout de mes surprises... Ils étaient aussi bornés qu'un troupeau de mules !

- Pourquoi ? m'enquis-je.

Il ne répondit pas, et ses yeux se mirent à briller. Il ne voulait pas me perdre. Et il me l’avait clairement fait comprendre. Moi non plus, je n’avais aucune envie de le quitter, mais je refusais officiellement devenir une suceuse de sang.

Je le pris dans mes bras malgré l'incrédulité et la colère. Les larmes me montèrent aux yeux.

- Comment... comment as-tu su que j’étais ici ? Et que je devais me transformer en vampire ?

- Tu es vouée au vampirisme, Roxane. Ton destin était scellé avant même ta naissance.

J'encaissai une fois de plus la nouvelle, aussi improbable soit-elle.

- Pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé ? demandai-je sur un ton de reproche.

- Parce que cela doit rester un secret tant que la personne concernée n’est pas transformée.

- Je ne comprends pas... Es-tu un vampire aussi ? Pourquoi tous ces secrets ?

Mon cœur battait la chamade tandis que j'attendais la réponse avec impatience. Ou plutôt, non. Je ne voulais pas savoir. Même si elle semblait s'imprimait en lettres majuscules devant mes yeux.

Mais sa réponse se fit aussi claire et nette que mes pensées.

- Oui.

Je serrai les dents et les poings. Je n'aimais pas la tournure que prenait la conversation. Je tentai de me raccrocher à l'infime part en moi qui ne cédait toujours pas à la réalité. Les vampires n'existent pas, les vampires n'existent pas.

À contrecœur je m'entendis poser cette question :

- Alors comment fais-tu pour manger les mêmes aliments que maman et moi ?

- Les jeunes vampires ne se nourrissent que de sang, tandis qu’avec l’âge, nous pouvons nous habituer à certains aliments. Même si cela reste une possibilité, nous n’en mangeons qu’en petite quantité car la nourriture –non sanguine- ne nous rassasie pas le moins de monde...

- Et... maman. Est-elle un vampire, également ?

- Non. Elle n'a pas eu cette chance, répliqua-t-il avec un sourire en coin. C'est un loup-garou.

Décidément, ça faisait trop de nouvelles en même temps. Il semblait déçu qu'elle ne soit pas une suceuse de sang ! Je me serais contenté de bien moins, pour ma part. J'étais surprise de ne pas être engluée dans une sorte de transe d'état de choc. Mais mon insolence voulut que je proteste.

- Ça aussi c’est un secret ?

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Vous ne m’en avez jamais parlé. Ni toi ni maman. C’est aussi un secret ? Même envers moi ? m'emportai-je.

- Roxane. On savait que tu allais devenir un vampire. Tu l’aurais découvert tôt ou tard par toi-même. 

- Tu rigoles, j’espère ! C’est comme ça que tu pensais que je le découvrirais ? Si tu m’en avais parlé plus tôt, j’aurais peut-être pu y croire, et qui sait ? Accepter d’être un vampire ! -Quoique... cette idée laisse tout de même à désirer...- Mais non, apparemment ! Car tu ne me faisais pas assez confiance pour me faire part de ton secret ! Pas même à moi, ta fille, ton sang, ta famille ! Tu es trop têtu pour partager quoi que ce soit avec moi !

Bon d’accord j’en faisais peut-être trop, mais je leur en voulais de ne m’avoir rien enseigné. De ne pas m’avoir mise au courant. Je me retrouvai seule dans mon cas, sans que personne ne me comprenne vraiment. Je ne savais pas si je devais accepter ma transformation. Une partie de moi me l’interdisait, tandis que l’autre partie m’y conseillait. Alors c'est ça le sentiment qu'on ressent lorsqu'on est trahi ? Ce vide intérieur et morne qui traduit si bien nos pensées qu'elles en deviennent indescriptibles ?

Ma vue se brouilla et le paysage se déforma. La discussion animée qu'échangeaient mon père, Chad et Kayna se mua en brouhaha, et je ne compris plus ce qu’ils disaient. Ma gorge me brûlait fortement tel un volcan en éruption.

Que m'arrivait-il ? Était-ce trop tard, pour me transformer ?

Mon destin avait tracé sa route.

Mes jambes ne me soutenant plus, je tombais en arrière et ma tête heurta violemment le coin de la table basse. Je sentis un craquement dans mon crâne qui se répercuta tout autour de moi comme un ricochet et une douleur fulgurante s'empara de mon corps tout entier. J’avais envie de hurler, mais aucun son ne franchit mes lèvres. Je remarquai mon père accourir, rattrapé par Chad et Kayna, mais tout devint noir et je m'enfonçai dans les ténèbres les plus profondes, avec la seule conviction que je pourrais désormais reposer en paix.

La nature de Roxane - tome 1 : MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant