— Mais le Sénat est partout !

— Je n'irais pas jusque-là, disons plutôt qu'il est à disposition des Artistes.

— À quel point ?

— Il a des antennes de communication dans toutes les écoles, et un peu partout sur Terre. Pour héberger les jeunes Artistes perdus. Ah, et il charge souvent des monuments artistiques en énergie créatrice, pour permettre aux nouveaux Artistes de se rendre dans l'Artivers sans trop se fatiguer.

— C'est donc pour ça qu'Inalén nous avait rejoints devant l'étrange statue, la première fois...

— Sûrement. Enfin, là n'est pas le sujet : on est là pour trouver le masque mimétique, pas pour débattre de l'implémentation du Sénat. Demandons de l'aide. »

En réalité, l'aide vint à eux. Une jeune femme, qui avait remarqué leur air perdu, les interpela. Après avoir échangé quelques mots en espéranto avec Tara, elle s'adressa aux adolescents en anglais — forcer tout le monde à parler une autre langue pour s'adapter à eux commençait à gêner Anouk et Manon.

Alors que la guide justifiait leur venue, avec une insistance toute particulière sur le fait que l'école huit était leur seul espoir, son interlocutrice arborait un visage soucieux. Elle les mena vers les « derniers rapports d'activité artistique » : un assortiment d'écrans aux informations incompréhensibles, dotés de claviers et de boutons étranges. Après avoir pianoté dessus quelques instants, elle se lança dans un flot d'explications dont ils ne retinrent rien, sinon que la recherche les épuiserait.

« J'ai une question... » commença Manon.

L'employée l'interrompit d'un geste de la main.

« Navrée, je n'ai pas le temps. Si vous avez un problème important, évitez de déranger les autres Artistes : ils sont tous très occupés. À la rigueur, vous pouvez demander à l'étage du Sénat : il y a toujours quelqu'un de disponible. À bientôt ! »

Et elle les abandonna, sans leur permettre de dire un seul mot. Les quatre intrus s'échangèrent un regard confus, mais se mirent à chercher. Les machines se laissaient manipuler sans trop leur poser de problèmes, ce qui leur redonna espoir. Ils n'avaient pas goûté à ce sentiment depuis un moment : ils ne purent donc empêcher leur imagination de s'emballer, et partagèrent leurs pensées.

Peut-être le masque se cachait-il près d'eux, dans une aile du Sénat par exemple ! Dans ce cas, ils n'auraient pas à voyager bien loin ; mais cela ne leur semblait pas très crédible. Ou bien dans une autre fraction de l'Artivers : cette perspective leur paraissait plus probable, mais moins agréable. Ils devraient alors en localiser l'accès, tâche déjà ardue, et surmonter encore des dizaines d'épreuves toutes plus terrifiantes les unes que les autres. Tout compte fait, ils n'avaient pas vraiment envie d'y penser, ainsi, pour se rassurer, ils préféraient se dire que l'artefact se trouvait sous leurs yeux, et qu'ils étaient juste trop bornés pour le voir.

Ils se demandèrent également à quoi cet objet, qui faisait trembler le tout-puissant Sénat, pouvait bien servir — à part offrir une diversion élégante à son porteur. Après leur passage à la tour d'archives, ils avaient recherché la définition exacte du mot « mimétique », pour obtenir quelques pistes. La plupart des dictionnaires expliquaient « qui relève du mimétisme, la capacité de reproduire le comportement de son entourage pour mieux s'y fondre ». Ainsi, d'après son nom, l'œuvre semblait permettre à n'importe qui d'imiter les techniques et la magie d'Artistes plus compétents, donc plus puissants... Mis entre de mauvaises mains, il constituait une arme redoutable, alors pourquoi le Sénat confiait-il sa saisie à trois adolescents inexpérimentés, aux pouvoirs peut-être inexistants ? Quelque chose ne collait pas, mais ils n'arrivaient pas à déterminer quoi : ils enfouirent ce sujet au plus profond de leurs esprits. Ils se dirent plutôt qu'ils avaient mal compris le fonctionnement de l'artefact, et qu'il était moins dangereux qu'ils ne le pensaient.

Artistes 1 - Le masque mimétiqueWhere stories live. Discover now