- Chapitre 3 -

172 38 120
                                    

Anouk fut la première arrivée sur la colline

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou télécharger une autre image.

Anouk fut la première arrivée sur la colline.

Elle posa son vélo contre un des bancs disposés en cercle autour de la statue, sortit son téléphone et un de ses sandwiches ; elle s'appliqua à ne pas toucher son badge emballé dans du papier. Puis, elle attendit pendant quelques minutes, qui lui parurent une éternité, au point qu'elle se demanda si ses camarades finiraient par venir, et s'ils avaient vraiment pris sa proposition au sérieux. À cause du ciel nuageux, de l'air humide et du vent froid qui agressait son visage, elle commença à craindre que son idée ne soit pas si bonne.

Mais lorsqu'elle aperçut une petite silhouette au loin, ses doutes s'estompèrent en partie. Un sourire hésitant se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle observait Manon - en avance, elle aussi, sur l'heure prévue - s'approcher et pester contre le sentier boueux, unique accès au monument, qui salissait sans doute ses chaussures neuves. Au fur et à mesure, ses contours se précisaient. Et au fur et à mesure, tout, de sa jupe délicate à son carré au brushing gâché par le vent, en passant par sa veste légère, barrière illusoire au souffle glacé, montrait qu'elle n'avait rien à faire dans un environnement si... naturel. En effet, une fois au sommet de la butte, son agacement était clair.

« Sérieusement, commença-t-elle, ils auraient pu construire leur statue soi-disant magique dans un endroit plus facile d'accès, ou au moins desservi par un bus. Mais au fait, qu'est-ce que c'est que cette atrocité ? »

Les deux adolescentes levèrent la tête vers l'édifice de grès au centre du coteau. La même interrogation surgit dans leurs esprits : comment avait-on pu appeler cela une œuvre d'art ?

Anouk se perdit dans l'amoncellement de reliefs tantôt brusques, tantôt doux, de courbures douteuses et de gravures indéchiffrables, le tout d'un gris moucheté qui piquait l'œil. Elle avait beau y chercher une signification, puiser dans tous les symboles qu'elle connaissait, cette sculpture ne lui évoquait rien d'autre qu'une masse gluante et menaçante, comme un être mutant prêt à lui sauter dessus. Ce n'était pas une œuvre d'art, c'était le mal à l'état pur.

Manon, elle, y voyait une sorte de madeleine de Proust maléfique. La statue lui rappelait les créations abstraites devant lesquelles ses parents s'extasiaient, et que, depuis son plus jeune âge, elle n'avait jamais comprises. On lui avait répété, pourtant, qu'il lui fallait s'intéresser à toutes les formes d'art, que c'était une preuve de culture et de maturité, mais... même à seize ans, elle ne saisissait pas ce qu'on pouvait y trouver d'esthétique.

Pire, avec le temps, l'art abstrait avait fini par s'opposer, dans ses fondements, à sa conception de la beauté, acquise par l'effort de représenter les choses avec fidélité. Elle savait qu'avec une telle opinion, elle passerait pour une inculte fermée à la nouveauté en société, mais tant pis. Elle aurait aimé avoir un avis différent, mais son esprit scientifique et ses souvenirs d'enfant ennuyée dans les galeries d'art la marquaient. Au pire, elle mentirait : la moitié de ses interlocuteurs en ferait sans doute autant, alors elle ne s'en priverait pas.

Artistes 1 - Le masque mimétiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant