1- Amelia

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Sous le pont branlant de Daniel, je m'évertue tan bien que mal à desserrer le filtre à huile d'une Ford fiesta. La chaleur de ce mois de septembre est étouffante et elle est comme multipliée sous le moteur. Sans compter que ce filtre me résiste, glisse dans la clef à collier et que j'ai besoin de sollicité chacun de mes muscles pour tenter de le deviser.

— Un super plan, il veut une Audy A4 et il est prêt à la payer vingt mille balles. Un super plan je vous dis.

Sami a toujours des super plan, des plans super pourris surtout. Avec ses cheveux blonds coupés en brosse et ses 50 kg, son blouson en cuir trois fois trop grand pour lui, on ne lui donnerait pas plus de 15 ans. Il en a pourtant 19. Alors je serais curieuse de savoir qui lui a filé le tuyau.

— Pour ce prix là, il peut en trouver une sur le bon coin, pourquoi voudrait-il d'une voiture volée?

Rémi, la voix de la raison, celle qui nous empêche de vriller Sami et moi, depuis tout petit déjà, quand on lui demandait de faire nos devoirs de maths et qu'il préférait passer 5 heures à nous expliquer les exos. Assis sur l'établi du garage de Daniel, il fixe le petit pendant que je tente de desserrer ce putain de filtre à la clef à chaine cette fois.

Il ne m'échappera pas ce coup-ci. C'est censé pouvoir ce défaire à la main cette connerie, comment ils ont pu le serrer à ce point?

— Et c'est qui ce mec, demande notre conscience?

— Un certain Jason.

Bon, ça suffit, je vais chercher un tournevis et un marteau.

— Et d'où tu le connais?

En sortant de sous la voiture, en sueur et de l'huile plein les mains, je vois Sami se gratter la nuque, signe incontestable qu'il a fait une connerie. Je m'empare des outils et retourne dans ma grotte.

— Je lui ai vendu du shit.

Je ne peux pas voir Rémi, mais je sais qu'il fronce les sourcils. Moi aussi je suis énervée mais me tais. Je préfère passer mes nerfs en transperçant le filtre de part en part avec mon tournevis. L'huile se répand le long de mes bras et je me dis que ce n'étais peut-être pas très intelligent de ponter une débardeur blanc pour faire une vidange. Mes fringues ne s'en remettront pas. Daniel va gueuler. Je m'en fou un peu. J'ai juste envie de me venger sur ce bout de taule plutôt que de m'énerver contre Sami. Je l'aime bien ce petit gars, on est potes depuis la maternel, il m'a toujours soutenu, notamment quand mon paternel s'est barré ou que ma mère est partie en désintox. Lui dire qu'il cherche les problèmes ne changera rien, il plonge toujours tête baissée dedans.

J'entend Rémi se mettre debout, il toise Sami d'un air inquisiteur.

— Et je peux savoir où tu as vendu du shit sachant que les flics surveillent le quartier depuis deux semaines?

— Ben dans un autre quartier.

— Lequel, insiste Rémi?

Sami se gratte la nuque une fois de plus. Moi j'arrive enfin à venir à bout de ce fichu filtre, je passe mon doigt plein d'huile sur le joint du nouveau et le met en place à la main, comme ça doit être fait normalement. Je crispe tout de même les mâchoires, j'ai peur de ce que le petit blond va répondre.

— Lachaux...

Je sors de sous la voiture, n'y tenant plus. Les points serrés par la colère, j'ai tellement envie de lui en mettre une.

— Putain, mais t'es con ou quoi? C'est le terrain de Souillac! Tu cherches la merde! Tu veux que ses mecs te tombent dessus? Non seulement tu vends dans son quartier mais en plus tu prends des jobs là bas? T'as la moindre idée de ce que ce mec peut te faire? C'est pas avec leurs points qu'ils se défendent là bas, c'est à coup de couteau!

Je m'apprête à l'attraper par le col quand Rémi vient nous séparer, ruinant sa veste au passage.

— Du calme Amelia, il a compris, il n'y retournera pas. N'est-ce pas Sami?

Il se retourne vers le plus petit d'entre nous qui hoche la tête. Du haut de son mètre 65, on dirait un gamin qu'on vient de gronder. Comme peut-il imaginer une seconde pouvoir jouer les gros dures face à de vrai têtes brulées?

Daniel sort de son bureau et nous toise d'un air sévère.

— Amelia, si tu veux qu'on ait quelque chose à manger ce soir, t'as intérêt de finir la fiesta pour 17h.

J'acquiesce face à mon beau père. Il parait pas comme ça avec sa poche à bière sous son marcel crade, sa moustache mal taillée et ses pantalons trop longs, mais lui, c'est un vrai gentil. C'est lui qui m'offre un toit, un job, de quoi becter et qui m'a aidé à envoyer ma mère (sa femme) en désintox. Il fait brute de décoffrage, mais je sais que je peux compter sur lui. En tout cas plus qu'en mes potes qui trouvent des jobs foireux ou ceux qui m'empêchent de foutre une branler au petit pour lui faire entendre raison.

Je fais descendre le pond pour mettre de l'huile neuve dans la bagnole et dit aux deux autres de rentrer chez eux. J'ai du taf.  

Dix minutes par jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant