Chapitre 59 (fin du tome 1)

Depuis le début
                                    

Je haussai un sourcil.

- Quoi, mon cœur ?

Ton cœur...

Je reculai de quelques pas, mais un courant d'air glacé me scia sur place. En me retournant, un autre fantôme me fit face. Le sosie d'Aaron. Celui que j'avais tué durant ma période de non humanité, près d'une boîte de nuit, alors qu'il m'avait proposé une danse. Il me fixait de ses yeux vitreux, un sourire pétrifiant tirant ses lèvres immatérielles.

N'écoute que lui..., prononça-t-il d'une voix caverneuse.

Je commençais vraiment à m'enraciner de terreur. L'homme pointa son long doigt désarticulé vers mon cœur avant de disparaître à son tour.

Cette fois, il ne m'en fallut pas davantage pour me décider à fuir. Je courus en sens inverse, subitement pressée de rejoindre le manoir. Quelle idiote je faisais, à m'aventurer dans la forêt, une nuit de Samain, alors que le voile entre l'au-delà et l'ici-bas est si fin ! Une nuit où je suis censée briser la malédiction, sans avoir tué Aiden, qui plus est !

Une jeune femme cette fois me bloqua la route. Elle était aussi diaphane et morte que ses congénères, mes autres victimes, et murmura, d'un ton éteint :

Tue-le d'abord...

Elle parlait probablement d'Aiden. Je n'avais aucun moyen de le tuer. Il s'était emparé de la Dague et avait pris la fuite. En revanche, il avait eu la délicate attention de nous laisser un cadeau, en empoisonnant les enceintes de verveine.

Je pris mes jambes à mon cou et fuis, mais à chaque pas un autre fantôme surgissait de nulle part. Tous sifflaient à mes oreilles dans une cacophonie glaçante, inarticulée.

Je hurlais et me débattais comme si le diable m'enserrait dans ses bras. Je courais comme si tous les démons de l'enfer étaient à mes trousses.

Prise d'une folie immuable, je ne me rendis pas compte tout de suite qu'Aaron me retenait dans ses bras. Pourtant, lui aussi était un des Leurs.

Je criai à m'en arracher les cordes vocales. Hystérique, je donnai des coups dans tous les sens, pourtant prise dans un étau inflexible. Je ne pouvais pas me dégager de la poigne de fer d'Aaron, ce fantôme. D'inextinguibles larmes coulaient sur mes joues et dans ma bouche. Leur goût salé se mélangea bientôt à celui ferreux, du sang.

Le calme se propagea peu à peu dans mes veines. Le silence se mua en une sorte de barrière cotonneuse qui m'enserra les tempes. Pourtant, l'effet était relaxant et évacua les derniers lambeaux de la folie destructrice qui s'était emparée de moi.

Je me trouvais dans des bras, et je reconnus rapidement l'odeur d'Aaron.

Brusquement, j'ouvris les yeux, et son visage en chair et en os se démarqua de la forêt hantée.

La panique faillit me regagner, mais Aaron me serra contre lui.

- Ça va, mon cœur, je suis là.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Une sorte de vision. J'ai essayé de me plonger dans tes pensées pendant que tu te débattais, mais c'était brouillé. Comme des séquences qui s'entrecoupent à chaque fois. Seuls tes hurlements ne cessaient pas.

Je me relevai et ouvrit la bouche en grand quand je constatai l'état de ma robe. Ou plutôt ce qu'il en restait.

Le tissu vermeil était déchiré sur toute la longueur de ma jambe droite, depuis le haut de ma cuisse jusqu'à la cheville, le bustier était salement amoché aussi, et je sentais une fissure se propager jusque dans le dos. Mes bras étaient maculés de sang – le mien – et je tremblais comme une feuille.

La nature de Roxane - tome 1 : MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant