- Calme-toi, Roxy. S'il te plaît, reviens-nous, m'implora Lucy en larmes. Tu me manques tellement.

- Qu'est-ce que j'en ai à foutre, sérieusement ?

Mes mots achevèrent lui briser le cœur. Elle retint un sanglot et se remit à réciter d'interminables incantations.

Alec et ma mère réapparurent. Ma génitrice tenait une seringue dans la main, et je la maudissais d'avance pour l'usage qu'elle comptait en faire.

- Tu comptes faire quoi avec ton aiguille ? la provoquai-je. Puis à leur attention à tous : Vous êtes tellement lâches que vous n'êtes pas capable de m'attaquer loyalement. Merde à la fin ! Arrêtez de vous cacher derrière votre verveine en tube et mettez-y un peu du vôtre !

Ils s'échangèrent des regards stupéfaits. Je venais de leur clouer le bec, au point que je me sentais hors d'atteinte. C'était sans compter ma mère qui s'approcha et me piqua.

Je flottais déjà dans un univers cotonneux, où l'air tiède me chatouillait la peau, et où mes pieds nus s'enfonçaient dans les doux nuages blancs. Je relevai la tête et vis le ciel brillant d'un bleu éclatant s'étaler à perte de vue. Le soleil perçait quelques nuages et des rais de lumières filtrée traversaient le sol vaporeux. Le paysage avait l'air tout retourné, sens dessus dessous. Mais j'aimais cette anarchie. Ce mélange de couleurs clairs qui m'apaisaient. Mais rapidement, les alentours se muèrent en un amas sombre et disloqué, chargé d'électricité, emplit de l'odeur âcre de la fumée. Une forêt s'était formée à la place des nuages moelleux et un incendie bâillonnait la lisière. La nuit était étouffante, mêlée à une chaleur moite qui me faisait suffoquer. J'étais assise en tailleur face à un feu de camp, les mains liées à celles de Lucy et Aaron, et quelqu'un brûlait au centre des flammes impitoyables, tellement denses que je ne remarquai pas tout de suite qu'il s'agissait d'Aiden. Aaron et Lucy fermaient les yeux, un calme olympien s'était emparé d'eux. Cependant, l'Hybride tendait une main vers moi, la mine menaçante, une ébauche faussement rassurante. Dans son autre poing se trouvait la Dague d'Hafnium, et il faisait tourner sa lame si vite que les contours en étaient flous. Ses lèvres étaient étirées en un sourire sardonique qui m'effraya plus que jamais.

L'Hybride poursuivit sa lente avancée et traversa le feu dont les flammes s'écartèrent pour le laisser passer. Il s'arrêta devant moi et murmura des mots à mon attention, si bas que je ne pus les entendre parmi le crépitement et le souffle du vent.

D'une lenteur mesurée et résolue, Aiden enfonça la Dague dans mon cœur, sans que je ne puisse rien faire. Ma bouche s'ouvrit en un cri inaudible tandis qu'un liquide chaud s'échappait de ma poitrine.

Brusquement, je fus tirée de mon cauchemar par une poigne de fer qui me secouait frénétiquement.

J'ouvris les yeux, haletante, et remarquai Aaron.

Dès que j'eus repris mes esprits et que ma vue se stabilisa, une vague d'acerbité me parcourut et je montrai les crocs, tout en me débattant furieusement.

Ma hargne eut finalement raison de moi, et je parvins à me dégager de l'étreinte d'Aaron et Kayna, en remarquant au passage que je n'étais plus paralysée. Le loup-garou essayait de me calmer, mais je le frappai assez fort pour lui faire perdre connaissance. Kayna me sauta dessus, une seringue à la main, mais j'anticipai son coup et la lui enfonçai dans la gorge. Quelques secondes plus tard, elle s'effondra, inconsciente.

Ce fut à ce moment que je remarquai ma mère et ses yeux jaune. Elle ne semblait pas en position d'attaque, aussi tenta-t-elle de me calmer.

- Roxane, ce n'est pas toi. Tu n'es pas comme ça. Reprends tes esprits, et calme-toi, s'il te plaît.

Je ris à tel point que des larmes s'échappèrent de mes yeux.

- Me calmer ? Tu me demandes de me calmer ? répétai-je, hilare. Depuis des mois, j'ai été menée en bateau, on a pris des décisions à ma place, ma famille s'est détruite du jour au lendemain, puis tout s'est envolé avec l'âme de mon père. Tout. Il ne reste que cela, de moi, et c'est bien suffisant. Si ça ne tenait qu'à vous, vous vous serez déjà débarrassés de moi. Mais vous ne pouvez pas, parce que vous essayez de tirer profit du peu qu'il vous reste encore de moi. Vous tentez de me maîtriser avec vos fichus calmants, et aucun de vous n'a eu le courage de m'enfoncer un pieu dans le cœur, purement et simplement.

Voyant l'air incrédule de ma mère, j'ajoutai, histoire de remuer le couteau dans la plaie :

- Vas-y, tue-moi. Ça nous simplifiera la tâche, à tous.

La mine déconfite, elle s'avança vers moi. Je jubilais intérieurement ; mon plan fonctionnait à merveille. Je ne bougeai pas, complètement impassible.

Ma mère fit à nouveau un pas vers moi.

J'en fis un vers elle.

Elle tendit la main pour attraper la mienne.

Je la saisis.

Un sourire de satisfaction se dessina sur ses lèvres. Je n'en attendais pas moins et l'assommai.

Elle s'écroula à mes pieds, dans un fracas sourd.

Puis je pris mes jambes à mon cou, laissant derrière-moi trois personnes dans les vapes. Ils l'avaient tellement mérité.

J'obliquai en direction de la cuisine, et poussai la porte qui donnait directement sur le champ. Je longeai le mur où Chad m'avait embrassée pour la première fois et frissonnai de dégoût à l'idée d'avoir senti ses lèvres contre les miennes. Les lèvres d'un frère qui me laisse dans une totale indifférence.

La falaise, murmura une voix masculine. J'ignorais à qui elle appartenait, pourtant elle me semblait étrangement familière. J'obéis sans le vouloir, et passai devant l'olivier plusieurs fois centenaires, en manquant de trébucher sur les racines. Les fleurs colorées avaient cédé leur place aux herbes séchées, teintées de rouille et de paille. Je ne prêtai pas attention au décor et poursuivis mon chemin, guidée par la voix qui m'appelait à elle.

La falaise...

Une plaine desséchée s'offrit à moi, la bordure s'arrêtant brusquement quelques mètres plus loin. J'étais arrivée à la falaise.

Saute, m'intima la voix.

Je ne voulais pas sauter. Pourquoi devrais-je le faire ? Pourtant, le mugissement des vagues s'écrasant contre les roches en contrebas m'appelaient à elles, accueillantes. C'était comme si l'apesanteur refusait de me faire tenir sur mes deux jambes plus longtemps. Elles semblaient vouloir me faire glisser dangereusement du bord de la roche.

Était-ce vraiment la façon dont je voulais terminer ? Réduite en charpie, à la merci des rapaces ? Balancée par les va-et-vient des vagues incessantes qui léchaient le calcaire ? Brûlée par le soleil qui n'allait pas se gêner de se délecter de mon cadavre étendu sur les rochers ?

Pourquoi pas, me surpris-je à penser.

J'avançai le bout de ma chaussure vers le vide, et des graviers chutèrent avant de plonger dans les vagues. Mon pied s'avança un peu plus encore, et bizarrement, mon cœur battait d'un calme inattendu.

Je jurai de me souvenir avec quelle hargne je détestais mon entourage, dans l'au-delà, et baissai les yeux vers le gouffre. J'étais happée par ce qui se trouvait en bas, comme si un aimant m'y attirait.

Saute...

Une plateforme ressortait de la falaise, une quinzaine de mètres plus bas. Je devais faire attention de ne pas m'écraser dessus, car la chute ne serait pas suffisante pour me tuer. Et si je terminais ma chute de là-bas, j'arriverais entière sur les rochers. Les os brisés et franchement amochée, mais toujours entière.

Saute...

Je pris une profonde inspiration, fermai les yeux et balançai mon poids dans le vide. Je fus aussitôt entraînée par la vitesse précipitait dans le vide. Plus rien ne pouvait m'arrêter, il était trop tard.

J'allais mourir.


La nature de Roxane - tome 1 : MauditsWhere stories live. Discover now