- C'est l'heure, je vais fermer, lança le serveur.

- Une petite minute, je n'ai pas fini mon gâteau, minauda Lucy qui s'était resservie.

L'homme soupira, puis quitta la cafétéria.

J'en profitai pour ouvrir la porte de la réserve, et la refermai aussitôt derrière moi. Bien qu'il y eût un interrupteur à ma droite, je ne l'enclenchai pas.

L'odeur de renfermé régnait dans la cave. Un grand congélateur blanc se démarquait de l'obscurité, et je débloquai les verrous avant de soulever le couvercle. Waouh. Je n'avais vu autant de sang stocké au même endroit. Si seulement c'était du frais..., me surpris-je à songer.

J'enfournai une dizaine de poches dans mon sac à dos et quittai la réserve sans encombre.

Je ne pensais pas que le vol allait se révéler aussi simple ! Une fois n'est pas coutume.

Nous regagnâmes la chambre en silence, nos emplettes réalisées. Dans l'escalier du premier étage, nous croisâmes Antonio, qui fuit mon regard comme s'il allait le brûler jusqu'à la cervelle.

A une dizaine de mètres de la chambre, j'entendais déjà Sally remonter la fermeture Éclair de son sac. C'était bon signe : elle n'avait pas profité de notre absence pour s'enfuir.

Quand je refermai la porte derrière nous, Sally se tourna vers Lucy.

- Est-ce que tu aurais une paire de chaussettes à me prêter ? Les miennes sont restées à la lingerie et elle est fermée à cette heure-ci.

Sans un mot, Lucy lui lança une paire bleue à fines rayures blanches. Sally la remercia et se mit en tête de nous faire la conversation. Or, la sorcière ne souhaitait apparemment pas discuter et coupa court à la discussion.

- Tu sais, je n'ai toujours pas digéré ce que tu nous as fait, et ce n'est pas parce que Roxane t'a laissé une chance que je vais passer l'éponge.

- J'en suis consciente. Je n'ai pas besoin que tu m'excuses pour pouvoir me racheter.

Un silence de plomb s'abattit sur la chambre jusqu'au moment de se coucher. Il était plus de vingt-deux heures trente, et nous avions décidé de nous reposer un peu avant de partir, histoire de prendre des forces. Mais il m'était impossible de dormir tant mon cerveau refusait de taire toutes les questions qui le noyait.

Un mélange d'excitation et de peur me traversait depuis le début de la semaine. Quitter cet endroit signifiait prendre les choses en main. Endosser pleinement mon rôle d'Élue et dissoudre la malédiction. Puis faire face au futur.

Je m'étais rarement demandé ce que j'allais faire ensuite. Continuer mes études comme si rien de tout ça n'était jamais arrivé ? Retourner à Crown Hills, dans mon petit village d'antan et croupir là-bas, loin de toute responsabilité ? Il m'était impossible de m'imaginer vivre normalement, comme une simple ado en quête d'aventure, ou au contraire, suivant sa routine sans jamais perturber le cours de sa vie.

Non. Si jamais je sortais vivante de cette imminente guerre, je ne pourrais tout bonnement pas fermer les yeux sur mon passé.

Mais tout d'abord, il fallait pouvoir regagner nos familles afin qu'elles nous apportent de l'aide. Je n'arrivais pas à croire que des jeunes comme nous pouvaient avoir plus de responsabilités qu'un adulte. Je sentais aussi fort que de la bouse de vache au milieu d'un champ de fleurs que nous allions nous attirer des emmerdes durant notre escapade. Livrés à nous-mêmes au milieu de nulle part, avec pour seule compagnie nos âmes égarées et nos sac à dos. J'avais un mauvais pressentiment. Je savais pertinemment qu'une catastrophe allait nous tomber dessus, mais je ne pouvais rien faire pour l'empêcher d'arriver. Plus j'y songeais, plus je me sentais impuissante. Face à cette malédiction. Face à ce monde qui voulait tout sauf notre bien.

La nature de Roxane - tome 1 : MauditsWhere stories live. Discover now