33 - Interrogatoire forcé

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Chapitre 33 : Interrogatoire forcé

- Oubliez-moi votre performance et concentrez-vous ! J'ai l'impression de faire cours à deux enfants fainéants, les sermonna leur entraîneur, qui avait haussé la voix.

Les épaules voûtées de Conrad se redressèrent imperceptiblement et le grand écart de Céleste retrouva son parallélisme avec le sol. Le patinage artistique exigeait élégance, force et souplesse. Cette dernière était recommandée dans toutes les disciplines pour les filles et principalement en individuel et en danse sur glace pour les garçons, ce qui avait le don de l'agacer. Conrad échappait systématiquement à ce qu'elle nommait la torture du siècle. Une heure entière réservée à l'élasticité de ses jambes, pour vérifier qu'entre deux séances toutes les semaines, elle n'avait perdu aucune souplesse. Dans l'un des portés, Céleste se trouvait au dessus de la tête de son partenaire et effectuait un grand écart renversant qui se concluait par un maintien approximatif au niveau de ses hanches. Elle attrapait l'une de ses jambes et la tirait vers sa tête afin de faire son grand écart tandis qu'il la tenait, aligné avec la glace. Elle avait repéré ce porté qui lui avait laissé une impression indescriptible lors de la prestation des deux champions du monde en titre, mais elle ne pensait pas être capable de le réaliser un jour.

Ils se placèrent sur les tapis de sécurité, suite à la demande de Félix et attendirent sa consigne suivante. La défaite du week-end dernier lui revenait sans cesse en mémoire et l'obsédait, mais elle tentait d'occulter cet évènement désastreux dans le but de ne pas pénaliser toute l'équipe. Conrad n'en parlait pas non plus, mais à la grimace qu'il avait tiré lors de la prise de parole de leur entraîneur, elle se doutait que lui non plus, n'était pas insensible à leur programme catastrophique en compétition. Il avait tout de même concouru contre certains des couples présents, et la jeune fille ne put imaginer le sentiment qu'il ressentait. C'était comme s'il était monté au sommet, il avait atteint ce que des centaines de couples désireraient atteindre lors de leur ascension, et avait malencontreusement glissé et s'était écroulé au pied de la montagne. Le sentiment qui lui venait, à elle, était un mélange de culpabilité et de honte, jamais sa présentation ne l'a conduite à des ressentis aussi négatifs. Elle écrasa du pied une bestiole qui montait progressivement sur les tapis et releva la tête, elle ne devait pas se laisser abattre, tous les champions ont un jour échoué à un endroit. Ce serait son unique échec désormais. Elle se le promettait.

Félix prévoyait une séance pour revoir les bases normalement acquises, mais qui leur avait fait défaut. Des sauts lancés sur la glace, des double twists et des sauts simples. Un programme qui ne l'enchantait pas, mais elle n'était pas en mesure de pouvoir se plaindre au vu des résultats, alors elle fit taire ses mauvaises manières et attrapa le sac à ses côtés pour enfiler ses patins. Céleste se souvenait de l'époque où c'était sa mère qui lui laçait encore ses patins, elle n'avait jamais été aussi déçue que de constater la difficulté et l'ennui que c'était. Des boucles et un serrage forcé pour éviter incident et blessure inutile. Elle plaça son pantalon de sport noir et une protection afin de ne pas souffrir pendant l'heure et demi qui suivrait, et glissa jusqu'au centre de la piste. Son partenaire fût plus long, et elle prit le temps pour discuter avec Félix à propos de tout et de rien. Leur relation, qui s'était détériorée suite à la blague qu'ils avaient trouvé marrant de faire, avait subi d'autres péripéties désagréables, mais Céleste prenait sur elle chaque jour, et faisait des efforts considérables.

Elle restait après les cours, et sa dose de ragots à propos des entraîneurs s'en trouvait emplie. Félix était un homme discret, qui livrait peu de secrets sur lui et qui avait une méthode infaillible pour esquiver les questions personnelles de ses élèves. Mais, avec de l'entraînement et beaucoup de force mentale, ils parvenaient à dénicher quelques informations de temps à autres sur l'entraîneur-ours du centre. Tous les coachs étaient différents de ce qu'ils montraient en cours, et ils avaient tous hérité d'un surnom qui leur correspondait. Entraîneur-ours pour Félix, et entraîneur-glaçon pour Ludmila. La jeune fille n'était pas entièrement d'accord pour le deuxième, mais seule contre tous, elle avait dû s'incliner et avait opté pour celui-ci. Ludmila revenait régulièrement à la patinoire, que ce soit pour signer des papiers où aider d'autres coachs, mais dans tous les cas, la femme soviétique faisait toujours un tour vers l'endroit des couples. Félix lui réservait généralement un bon accueil, sauf quand il était véritablement plongé au sein de son échauffement, et il ne répondait plus de rien.

Le Revers de la MédailleWhere stories live. Discover now