6 - Une rencontre destinée

137 13 12
                                    

CÉLESTE

Céleste Haase adressa un bref hochement de tête à Jacques, qui avait repris son rôle de papy gâteau en constatant qu’elle subissait déjà les foudres des licenciés, et tourna à l’angle pour arriver dans une petite pièce exiguë. C’était la réserve avec le matériel de sécurité pour prévenir les chutes. Félix lui avait gentiment demandé de ramener un harnais pour le prochain cours, mais devant le désordre qui régnait, elle soupira. Elle détestait le ménage, mais encore plus quand les objets n’étaient pas à sa place, ce qui était tout simplement incompatible. Une fois qu’elle eut mis la main dessus, elle sortit de l’obscurité et se dirigea vers la piste d’entraînement, le harnais sur l’épaule et une tête figée. Elle savait ce qui l’attendait en franchissant l’immense porte principale : il avait prévu de destiner cette séance aux sauts lancés, c’est-à-dire un saut qui effrayait la jeune fille de par sa hauteur phénoménale. Conrad discutait gaiement avec Félix, et elle redressa la tête avant d’arriver à leur hauteur. Il paraissait stupidement serein, ce qui l’agaça encore plus.

Les quatre tours d’échauffement obligatoires durèrent si peu de temps qu’elle crut que le temps s’était mis à accélérer, mais il s’agissait juste de la peur qui lui tordait les entrailles. Elle ne put s’empêcher de penser qu’il avait le bon rôle dans ces sauts, il se contentait de la lancer, mais c’était elle qui prenait tous les risques. Pourtant, c’était aussi faux que Céleste rimait avec gentillesse.

Elle glissa avec aisance pour entendre les consignes de Félix, et s’amusa à freiner de manière brusque. Ses premiers pas sur la glace avaient été hésitants, elle tombait et se relevait aussitôt, mais plus les séances avançaient, plus Céleste s’appropriait la piste et patinait de plus en plus rapidement. C’était cette vitesse qui lui donnait l’adrénaline et qui l’avantageait dans les compétitions. Elle chutait souvent, à tous les cours, mais elle en riait avec Ludmila. Elle ne comprenait pas l’intérêt de rester dans une zone de confort sans tester de nouvelles figures impressionnantes. Petite, elle était déjà une véritable casse-cou, à courir dans tout le jardin familial pour battre son propre record, malgré le terrain accidenté. Son freinage avait eu des conséquences sur le pantalon de son partenaire, évidemment noir, qui était imprégné de poudre blanche et d’eau, pour son plus grand plaisir. Elle s’accouda au bord de la piste, et attendit les exercices.

- Les sauts lancés sont impressionnants, mais pas insurmontables. Pour le moment, ce sera des pas de deux. On les fera sur la terre ferme, ce sera moins dangereux, les informa-t-il, un œil vissé sur une feuille avec le programme de la semaine.

Conrad leva les yeux au ciel, et fût réprimandé par son entraîneur avec sa méchanceté légendaire -aussi terrifiante qu’un chaton. Elle comprenait sa réticence à l’écouter, le garçon avait déjà sept ans de patinage de couple dans les jambes, et exécuter des pas aussi simples avait de quoi l’agacer. C’était le même niveau que le saut de Valse et le double Lutz, elle ne trouvait pas de raison convaincante de s’embêter à les refaire. Ils glissèrent au centre de la piste, avec une distance qui lui semblait infranchissable, et il tendit sa main en premier. Elle la saisit en retenant de justesse une grimace et sous les ordres de Félix, entamèrent les mouvements appris la veille.

- Non, non et non. Vos mouvements ne vont pas ensemble. Recommencez.

Ils exécutèrent les mêmes pas avec plus d’entrain et d’énergie afin de pas entendre un discours sur l’importance de la cohésion et elle trouva sincèrement que c’était mieux. Après plusieurs séances, Céleste ressentait enfin un brin de passion l’animer, mais les sensations n’étaient pas les mêmes. Les sauts, la liberté de ses mouvements, de sentir la grâce envelopper son corps lui manquaient cruellement, mais le patinage artistique de couple la comblait d’un sentiment nouveau qu’elle ne discernait pas entièrement. Elle avait cru tenir un avantage à un moment, mais il s’était estompé aussi vite que sa victoire au championnat du monde junior : la culpabilité. Ses programmes n’étaient plus sous son unique responsabilité, et elle refusait de le décevoir, le poids sur ses épaules sonnait différemment.

Le Revers de la MédailleWhere stories live. Discover now