8 - Une main tendue

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C

éleste Haase insistait toujours auprès de ses parents pour qu’il la dépose en avance lorsque l’entraînement était prévu pour sept heures. Généralement, ils refusaient, sous prétexte qu’elle se levait déjà suffisamment tôt pour ne pas en plus les contraindre le soir à subir ses sautes d’humeur, ce qui s’avérait être une excuse totalement valable, mais ce matin-ci, ce fût différent. La veille au soir, sa mère avait planifié à la seconde près le programme de la matinée, et avait constaté avec soulagement, ce n’était pas drôle de dire non à son enfant, qu’elle pouvait se le permettre. Céleste était montée se coucher, radieuse, embrassant beaucoup plus de fois qu’à l’accoutumée ses parents.

Cinq heure et quart, le réveil émit une alarme stridente et désagréable, qui la poussa à soupirer avant même d’avoir mis un pied par terre. A peine émergée, elle râlait déjà envers le monde entier. Son caractère ne la quittait jamais vraiment, ses oreillers se trouvaient systématiquement à terre, preuve d’une lutte acharnée et la moitié de sa table de nuit renversée au sol. A cette heure si matinale, c’était bien le cadet de ses soucis mais elle prit soin de tout mettre sous son lit, si par mégarde sa mère était prise d’une envie irrépressible de fouiner dans sa chambre. L’état global était satisfaisant, si l’on excluait l’armoire qui débordait de costumes de gala et de compétitions dont elles ne pouvaient se résigner à les vendre où à les jeter.

Même si une page se tournait sur sa première vocation, elle voulait avoir libre accès pour feuilleter à nouveau entre les pages du livre, et se remémorer les souvenirs, bons ou mauvais. Même si ceux-là ne dominaient pas, elle en gardait les moindres traces. Elle enfila une tenue d’entraînement noire, semblable à la dizaine qui pendait dans sa penderie, une autre que son armoire officielle, et dévisagea son reflet dans le miroir. Son tee-shirt tombait parfaitement, mais son leggings semblait trop court, sa chaire apparaissait au niveau des revers. Elle compensa par des chaussettes plus hautes, qui masquaient la différence. Il était trop tôt pour se prendre la tête sur des futilités aussi banales soient-elles.

Céleste récupéra ses patins qui traînaient dans un coin de sa chambre, et mit son sac de sport sur ses épaules avant de descendre les escaliers, en prenant des précautions pour ne pas subir la foudre de sa famille le soir. La patineuse chaussa ses baskets, les laça rapidement et suivit sa mère qui l’attendait dans la voiture. L’une des qualités qu’elle avait acquise avec le patinage, en plus de la grâce et de la souplesse, était celle de savoir lacer n’importe quelle type de chaussure en un temps record. La brise qui l’accueillit à la sortie de la maison lui donna envie de se replonger dans ses draps, mais il était trop tard pour faire marche arrière désormais.

- Ne te blesse pas inutilement, fais simplement des pirouettes, rien de dangereux, lui conseilla sa mère, qui réglait les rétroviseurs.

Son inquiétude principale demeurait dans ces quelques mots. Si elle avait toujours refusé de la conduire à la patinoire, ce n’était pas pour des raisons d’horaire, car elle ne dormait que très peu la nuit, mais pour des causes plus maternelles et stratégiques, quoi qu’elle ne fût pas certaine de la dernière. Sa mère ne désirait pas qu’une blessure dû à un plaisir personnel l’empêche de devenir une grande patineuse, comme ses parents l’avaient toujours espéré. Autrement, elle ne voyait aucun inconvénient à ce que sa fille fasse de l’exercice en plus, au contraire, le sport forgeait le caractère, devise de la famille Haase.

Chacun de ses frères et sœurs aînés pratiquaient une discipline sportive différente, passant du traditionnel football à l’athlétisme, de la natation à la danse, personne n’avait été épargnée par le syndrome sportif. Ce besoin obsessionnel de bouger son corps afin de donner parfois du sens à sa vie, comme Céleste, ils l’avaient tous hérité de leurs parents, eux-mêmes des athlètes-nés.

Le Revers de la MédailleWhere stories live. Discover now