15 - Manigance malsaine

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Chapitre 15 : Manigance malsaine

Céleste Haase survivait difficilement à une reprise après plusieurs jours où le coach n'avait pas frappé en lui imposant une séance interminable. Ses joues avaient viré au rouge en moins d'une demi-heure d'échauffement et ses muscles se congestionnaient plus vite qu'auparavant, ses jambes lui lançaient déjà quand ils attaquèrent la première série de sauts. Malgré une discipline plus axée sur la cohésion, la confiance absolue en l'autre, Conrad avait une technique bluffante quant à ses sauts, excepté le Lutz, qu'il peinait toujours à effectuer. Mais il était réputé pour être le saut le plus dur physiquement, elle avait mis des mois avant de passer du double au triple. Pendant la première heure, ils enchaînèrent toutes les combinaisons et sauts qu'il savait faire, et dieu sait qu'il y en avait. Ils les maîtrisaient tous au triple si l'on excluait d'emblée le triple Axel, peu commun en couple, et le triple Lutz, qui ne tarderait pas, et rapportait donc énormément de points et de bonus ; ses atterrissages étaient propres.

Céleste en profita pour s'éclipser et mettre de l'eau sur son visage bouillonnant quand elle entendit Félix enseigner une nouvelle technique à Conrad afin qu'il le réussisse enfin. Ses yeux la trompaient sûrement, mais depuis quelques jours, elle avait l'impression d'être une élève extérieure au groupe, exclue du système que Félix dirigeait. Il ne retenait que Conrad à la fin des leçons, n'adressait jamais la parole à Céleste en dehors des ordres intimés pour le bon déroulement des cours et n'avait plus le même sourire à la fois empreint de bienveillance et de générosité à son égard. Il avait radicalement changé, pour devenir un entraîneur banal, sans distinction qui pouvait faire de lui quelqu'un dont Céleste se souviendrait dans le futur comme Ludmila Zhukova, sa troisième coach qui lui a tout appris. La relation qu'entretenait les deux hommes se perpétuait depuis des années et on ne pouvait pas se mettre en travers.

Elle n'aurait pas digéré qu'on intègre un autre élève dans le groupe de Ludmila, les sentiments étaient déjà trop profondément ancré dans son cœur. Mais là, ce n'était pas exactement pareil, il était obligé de retrouver une partenaire s'il désirait refaire de la compétition, alors une nouvelle personne devait obligatoirement se retrouver face à lui. Il devait accepter.

Céleste n'avait jamais été de nature jalouse, persuadée de pouvoir elle-même faire les gestes, les actions qu'elle admirait. Les Jeux Olympiques constituaient le rêve de beaucoup d'enfants, dont celui de Céleste, et étaient une source de convoitise absolue au complexe sportif. Mais quand ses amies et des petites filles qu'elle croisait dans les couloirs répétaient inlassablement qu'elles voudraient être à leur place un jour, la prodige s'exerçait pour le voir devenir réalité. Elle ne se lamentait pas de ses places aux concours, extérieurement en tout cas, mais s'entraînait plus dur pour pouvoir gravir les marches du podium. Céleste n'était pas jalouse, car la plupart du temps, elle obtenait l'objet de sa rancœur.

En revenant sur ses pas, elle surprit une discussion entre son coach et son partenaire qui l'interloqua suffisamment pour qu'elle continue de se planquer afin d'écouter ce qu'ils avaient à dire. Félix était penché vers son élève, le dépassant d'une bonne tête, et lui murmurait une phrase à son oreille, rendu inaudible par la distance qui séparait Céleste du duo. Mais cette dite-phrase eut pour effet immédiat de le faire sourire, ce qui, ces derniers temps, ne s'avérait pas être une chose aisée. Elle ne l'avait jamais trouvé particulièrement enjoué, ni optimiste dans ses propos, mais cela s'était empiré en l'espace de deux jours. Après un énième rendez-vous avec Mr Aubray, auquel elle n'était étonnement pas conviée, Conrad en était ressorti maussade et d'une humeur massacrante qui surpassait les crises incessantes de colère de Céleste.

Elle n'avait pas donné l'air de s'en inquiéter, il lui avait bien fait comprendre que ses affaires personnelles ne regardaient que lui mais son cerveau s'était automatiquement mis en fonction recherche. Céleste avait relié les informations dont elle disposait dans un coin de sa tête, entre ses entraînements, ses problèmes de médiatisation et le reste, et en avait conclu à un débat animé quant à sa place de rester dans ce centre d'élite. Il lui avait déjà fait part de ses doutes, ses appréhensions et ses craintes quand il l'avait observé patiner son ancien programme libre, et son comportement était radicalement différent de ce qu'il arborait aujourd'hui. Ses amies, qu'elle avait invité chez-elle un soir pour débriefer des nouvelles et des rumeurs qui circulaient en ce moment, chose dont elle avait horreur mais Céleste tentait de ne pas perdre le fil, lui avait demandé s'il était vraiment libre, pour lui proposer une sortie.

Le Revers de la MédailleTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon