7 - Égoïsme

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Céleste

Céleste Haase menait la danse pour se rendre dans le bureau du directeur. Quelques curieux observaient désormais la scène mais la plupart des licenciés avaient compris que ce n’était pas leur affaire et qu’ils faisaient mieux de détourner le regard. Deux chaises attendaient devant son bureau, mais elle refusa de s’y asseoir. Même si les couloirs étaient tous identiques entre-eux, Céleste ne put s’empêcher de remarquer que le ménage semblait impeccablement fait près des bureaux de la direction. Cette maigre différence soit-elle en disait long sur le pouvoir qu’occupait les personnes de l’administratif au sein du bâtiment. Un frisson parcourut son corps et la fit redresser aussitôt, cette petite voix dans sa tête qui ne se taisait jamais.

Tu entretiens ces hommes.

La licence que payait ses parents chaque mois était astronomique, et devait être trois fois supérieur à celle d’une fille de son âge dans une patinoire classique d’une autre ville. Ils avaient déménagé en conséquent, quand son niveau dépassait largement les capacités de ses autres coaches, vers ses six ans. L’enseignement des professeurs de ce complexe était vanté à tort et à travers sur les sites spécialisés, ce centre était celui de la réussite. La décision avait vite été prise, peu importe si ses frères et sœurs ne partageaient pas l’opinion des parents, ils avaient décidé de privilégier le talent de leur fille cadette. Elle avait toujours été mal à l’aise vis-à-vis de cette chance qu’ils lui offraient, mais elle devait être honnête, jamais elle n’avait protesté.

Céleste aperçut un panneau, en face du bureau de Mr Aubray, avec tous les coaches recrutés depuis la fin des années quatre-vingt. Des dizaines de noms figuraient dessus avec pour seule inscription leurs années de fonction. Certains se distinguaient par une photo soigneusement épinglée, et une description où l’on avait ajouté ultérieurement le nom des athlètes formés qui avaient eu un impact dans le monde du sport. Elle en reconnut quelques-uns, notamment Ludmila Zhukova, son entraîneuse durant plus de neuf ans. La sensation qui traversa son corps quand elle lut son propre prénom sous la photo était particulière. On ne pouvait pourtant pas dire qu’elle avait été une Lumière éclairant sa discipline.

Son doigt effleura ensuite une photographie de l’homme aux yeux charmants, aucun nom de famille n’était collé en dessous mais directement une phrase significative : « Des patronymes ne représentent pas l’envergure de sa carrière d’entraîneur. » Personne n’était digne de son talent, traduisit âprement Céleste, à qui l’inscription avait laissé un goût amer en bouche. Vénéré, honoré au statut de Dieu, comment pouvait-on oser contredire ce que tout le monde pensait ? Cet homme ne tomberait jamais, elle devait se faire une raison, mais c’était plus fort qu’elle. Un espoir subsistait.

- Félix a une longue carrière derrière lui. Il a quel âge ? demanda-t-elle, intriguée.

Céleste ne savait pas d’où lui venait cette envie d’en connaître plus sur la vie de son entraîneur et encore moins de s’adresser à Conrad. Mais elle était admirative du talent de Félix, et ce n’était qu’un faible mot, pas moins de cinq couples avaient participé à une Olympiade et parmi eux, trois en ressortaient Champions ou bien vice-champions Olympiques. Et un couple avait réitéré l’exploit quatre ans plus tard, en remportant à nouveau la médaille d’or. Elle n’avait côtoyé qu'un unique entraîneur avec un tel palmarès, et elle dût bien reconnaître que cela l’impressionnait.

- Cinquante-quatre ans, cinquante-cinq le onze juillet, l’informa-t-il, en haussant les épaules.

Elle détourna son attention du panneau de fierté qui trônait dans les couloirs des hauts directeurs, histoire de rappeler quel était exactement leur rôle, pour fixer la porte qui devait s’ouvrir d’une seconde à l’autre. Elle redoutait ce moment, non pas qu’elle le trouve réellement menaçant, mais ses sous-entendus déplacés quant au fait qu’elle ne compte que comme un chiffre, où plutôt la manière dont il tournait ses phrases, ne l’encourageait pas à avoir une confiance infinie en ce drôle de monsieur. Ses airs de supérieur qui savait tout d’elle, alors qu’il ignorait même le nom de chacun de ses programmes, l’agaçait profondément mais la patineuse lui devait une sorte de respect que lui-même ne lui accordait pas.

Le Revers de la MédailleWhere stories live. Discover now