Tu es sûre que ça va ?

Oui.

Il termina sa grappe de raisins, essuya ses mains au-dessus de la table puis porta son attention sur Sally.

- Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Où étais-tu hier soir ?

La traîtresse déglutit avec difficulté, mais reprit rapidement son calme.

- J'ai squatté dans la chambre d'une amie. Pourquoi cette question ?

Tais-toi, tu vas gaffer, intimai-je à Aaron.

- Juste pour savoir. Tu n'étais pas avec nous et on s'inquiétait, répondit Lucy.

- Ne vous en faites pas, je ne suis jamais très loin.

Cette phrase adoptait une fin menaçante.

Plus tard dans l'après-midi, je me rendis à l'orée de la forêt, seule, afin de prendre l'air. Après trois heures de cours consécutifs j'avais besoin de me dégourdir les jambes et surtout de m'aérer le cerveau.

J'empruntai un sentier sinueux et étroit au milieu des arbres, laissant libre cours à mes pensées. Depuis ces derniers jours, je n'avais pas pris la peine de réfléchir sur ce qu'avait découvert Chad. Il m'avait affirmé qu'un des miens devait mourir. Jusqu'ici, j'avais plus que tout tenté de mettre cette révélation de côté, refusant de faire face à la réalité.

Pourtant, c'était ainsi qu'était faite la vie. Des gens meurent toutes les deux secondes et d'autres naissent. C'est ce qui maintient la race humaine en équilibre.

C'était pourquoi l'Hybride et son clan devaient mourir. Pour rétablir cet équilibre qui, chaque jour penchait davantage du mauvais côté et menaçait de s'écrouler. S'il y parvenait, plus rien ne tiendrait debout et le monde aurait beaucoup de mal à reconstruire un présent sur un passé révolu et détruit. J'avais l'impression de m'être battue pour cette cause depuis tellement longtemps, alors que je venais à peine de pointer mon museau dans une guerre millénaire.

Le plus intriguant dans tout cela était qu'aucun élève du campus n'évoquait le simple mot de « malédiction ». Tous semblaient fièrement engagés dans le but de s'intégrer dans la société humaine et devenir de parfaits petits clones. Je ne comprenais pas cela. C'était même révoltant.

Je ne voulais pas être ce que tout le monde convoitait tant.

Au même moment, Sally me barra la route. Un petit sourire satisfait étirait ses lèvres.

- Besoin de compagnie ?

Je me mordis la langue pour ne pas débiter de bêtises, mais je ne pus m'empêcher de lâcher d'un ton mordant :

- Pas de la tienne.

- Oh, mais je vois que la petite Élue prend du caractère ! Quelle mouche t'a piquée ?

Je fis mine de réfléchir et retins mon poing juste à temps.

Il faut faire diversion.

- Tu sais que quand je me suis réveillée ce matin, je me suis rendue compte que j'étais shootée ? Et puis à peine levée, j'ai trouvé un cadavre ensanglanté dans mon placard. C'est fou, ça. Je me demande bien qui a pu faire une chose pareille, annonçai-je d'un air faussement innocent, un rien mielleux.

- Oh, que c'est horrible ! Je suis désolée de ne pas avoir été là pour t'aider...

- Tu étais tellement occupée à taillader des corps que je n'osais pas te déranger, répondis-je, de plus en plus furieuse contre son innocence feinte.

Sally sembla en avoir assez de jouer la comédie car elle tenta de me plaquer au sol, mais je l'esquivai au dernier moment, et elle se prit un arbre dans la figure. Elle revint à la charge, déjà remise de son choc, et je sautai par-dessus elle afin d'atterrir dans son dos. Sally fit volte face et montra les crocs. Je fis de même.

Si elle annonçait déjà la couleur, j'étais partante.

Cette fois, ce fut moi qui chargeai et je la renversai, sa tête venant heurter le tronc solide d'un arbre qui trembla sous la puissance du coup. Je profitai de sa vulnérabilité pour lui agripper le cou des deux mains, et je serrai. Pas fort, juste assez pour qu'elle remarque le manque d'air.

- Tu sais ce qui est délirant, dans tout ça ? demandai-je. C'est que, ce rôle d'Élue que tu convoites tant, je n'ai rien fait pour l'obtenir. Ça m'est tombé dessus comme ça, sans que je réclame quoi que ce soit. Au début, j'aurais tout fait pour m'en débarrasser, parce que j'étais persuadée que je n'étais pas faite pour sauver le monde surnaturel. Mais en regardant autour de moi, j'ai remarqué que j'étais la seule vampire à prendre conscience des risques dans lesquels nous pataugions, et de la menace constance qui plane au-dessus de nos têtes. Si j'avais pu, je t'aurais refilé ce genre de mauvais rhume dès le début, mais bizarrement, je m'y suis fait. Alors que tu sois jalouse ou non ne change rien à la donne. C'est comme ça, un point c'est tout. J'ai appris à vivre avec, et je peux bien me passer de tes sautes d'humeur. Alors maintenant, si ça ne te dérange pas, tu vas arrêter le manège que tu as commencé, et tout rentrera dans l'ordre. On n'est pas obligées d'aller plus loin, mais garde bien en tête qu'en cas de nécessité, je n'hésiterai pas.

- Tu me menaces, maintenant ?

Le manque d'air avait fait virer son teint au cramoisi, mais sa force ne diminua que peu et elle profita de ma seconde d'inattention pour m'enfoncer un morceau de bois dans la gorge.

La douleur irradia dans tout mon corps, c'était comme si ma tête allait exploser. Je sentis le sang couler le long de mon cou, et la souffrance m'empêchait de respirer. Ma prise sur Sally se relâcha, et elle ne perdit pas son temps pour fuir.

J'arrachai avec rage le mini pieu de ma gorge et repartis dans la direction de Sally, décidée à la traquer et la retrouver.

C'était elle qui avait déterminé la propre issue de ce combat, et je n'allais pas la laisser s'en tirer comme ça.

La nature de Roxane - tome 1 : MauditsWhere stories live. Discover now