Chapitre 21

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- Tu vas bien ? s'inquiéta Lucy.

Je ne parvins même pas à hocher la tête.

- Je t'ai entendue crier, alors j'ai tenté de te réveiller, mais tu n'ouvrais pas les yeux. Lucy est arrivée et a dû faire un sort pour t'extirper de ton sommeil secoué, compléta Sally.

Je n'avais toujours pas prononcé un mot. Mon cœur était trop affolé pour irriguer mon cerveau. Il tentait vainement de s'enfuir de ma cage thoracique. Il cognait, frappait et martelait de coups les barreaux qui l'emprisonnaient.

Tout ce que je parvenais à faire, c'était me repasser en boucle les images de cet affreux rêve, clouée au sol et mon bras brûlant à moitié. Sans compter cette odeur nauséabonde et le couloir sans fin. C'était extrêmement effrayant. Je ressentais toujours la douleur qui chavirait mon corps, le bruit qui avait sifflé dans mes oreilles jusqu'à m'en donner la migraine, le sang qui avait coulé le long de ma main et formé des stries rougeâtres, et les fourmillements qui avaient inlassablement traversé mes membres.

- Roxane ?

La voix de Lucy me ramena à la réalité.

- Je... Ça va. J'ai besoin de prendre l'air.

Je gravissais le long escalier qui menait aux chambres des professeurs. Après avoir atteint le deuxième étage et atterri dans un couloir éclairé seulement d'une lumière verdâtre, je stoppai net. J'entendais des murmures s'échappant de la chambre de Turner, mon prof d'Histoire Surnaturelle.

J'avais souhaité le voir pour lui soutirer des informations à propos de mes cauchemars en série. Lors de notre dernière entrevue, il avait l'air de savoir bien des choses, mais il avait préféré faire mine d'ignorer.

Il cache un gros secret, celui-là. Et il n'est pas net.

Une voix féminine mêlée à d'autres, masculines, me parvint aux oreilles. J'en reconnus deux d'entre elles : Turner et Blake, la prof de littérature.

Je me demandais bien quels genres de réunions avaient lieu à trois heures du matin.

Je commençais à croire Sally. À croire que quelque chose ne tournait pas rond dans ce campus. C'était censé être la normalité absolue, vu le monde surnaturel dans lequel j'étais engloutie, mais c'était quand même étrange.

Alors que j'allais partir, j'entendis mon nom s'élever à travers la porte en bois massif.

-... Roxane s'est évanouie dans mon cours l'autre jour, ce qui est anormal pour un vampire -je vous le rappelle encore, d'ailleurs-. Je commence à me poser des questions à propos de la malédiction. Si elle est la meneuse, il faut...

Je titubai. Je ne voulais pas en entendre davantage. Il fallait que je m'éloigne le plus possible de cette porte qui me donnait la chair de poule.

J'avais bel et bien entendu mon nom craché de la bouche de Turner.

Je dévalai les escaliers en chancelant, imaginant la fin de sa phrase. Si elle est la meneuse, il faut... Quoi ? Me traquer ? Me tuer ? Pourquoi auraient-ils recours à des méthodes si radicales ? Je n'avais tué personne à ce que je sache. Peut-être voulaient-ils simplement m'aider, ou me mettre en garde ?

Ou t'éliminer.

Oui, tout simplement.

Mais je n'arrivais pas à y croire. Turner avait évoqué la malédiction ! Cela faisait trop de personnes qui en parlaient en si peu de temps. Je ne pouvais même plus m'offrir l'illusion que ce n'était qu'une rumeur avec autant de valeur qu'un mégot de cigarette sur le bord de la route. Je commençais sincèrement à sombrer dans la folie, en croyant leurs idioties.

Peut-être n'avaient-ils pas si tort. J'avais vu assez de choses au cours du dernier mois pour sortir ma tête du sol. Je ne devais pas être l'autruche, sinon mon corps entier allait se retrouver enterré. Plus littéralement que possible, d'ailleurs.

La seule chose qu'il me restait à faire, c'était partir à la pêche aux informations.

Je ne stoppai ma course folle qu'à l'extérieur du lycée, avant de m'engouffrer dans la forêt, guidée par l'odeur boisée et nuptiale.

La lune était pleine. Je pensais à Aaron et ma mère, qui devaient subir une transformation que j'imaginais douloureuse et affreuse, tous les mois. Je n'en savais pas trop sur les loups-garous. Ma mère n'avait jamais eu le temps de m'en parler, et je n'avais pas posé de question à Aaron non plus. Ce n'était pas tellement dans mes priorités, mais il fallait que j'y pense, un de ces quatre. Ce monde restait encore trop inconnu, alors que j'étais censée

Le sol de la forêt était creusé de sillons et inégal. Je courais à une vitesse impressionnante à travers les arbres, évitant chaque obstacle qui s'élevait si brusquement sur ma route, quand je sentis une odeur forte et animale, proche de moi. Je stoppai net, tous les sens en alerte, mais pas plus essoufflée que si j'avais fait deux pas. Une brindille craqua non loin de moi, et je me mis sur la défensive, prête à l'assaut, tous crocs dehors.

Ces instincts d'attaque m'étaient venus si naturellement depuis ma transformation... Mais je trouvai cela de moins en moins flippant. Juste grisant. La sensation d'une force inouïe qui parcourait mes veines, alimentait tout mon corps mêlé à une forte dose d'adrénaline.

Lorsqu'une seconde brindille craqua et que je sentis un déplacement d'air, je compris deux choses.

La première, que les intentions de ce lycée n'étaient peut-être pas si honorables qu'elles prétendaient l'être.

Les feuilles bruissèrent subitement quand un loup jaillit d'entre les arbres. Il ne lui fallut pas plus de temps pour me prendre de court et m'écraser sur le sol. Je tentais de me remettre sur pieds, mais ses canines, longues d'au moins dix centimètres, menaçaient sérieusement ma gorge.

Mais je n'allais pas me laisser abattre. Mes crocs cherchèrent à leur tour la gorge de mon assaillant, tout comme mes poings qui balançaient des coups ici et là, manquant parfois leur cible, mais atteignaient tout de même le crâne de la bête.

L'animal au poil noir charbon poussa un rugissement effrayant. Sans me décontenancer, je lâchai à mon tour un râle sourd et menaçant, traduisant ma rage et ma fureur. J'enfonçai mes ongles dans le cou du loup, animée par une impétuosité explosive.

Mais la bête ne se laissa pas démonter malgré la douleur, et ses crocs raflèrent mon visage. Je sentis mon sang couler le long de ma joue.

Cela renvoyait à la seconde chose qui venait de s'éclairer.

Nous ne sommes en sécurité nulle part.

La nature de Roxane - tome 1 : MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant