Ne cherche pas à fuir ton destin ; il finira toujours par te rattraper.

Aaron se racla la gorge, et lorsque je tournai la tête vers lui il dit :

- Ne cherche pas à fuir ton destin.

Je rêve ou il a lu dans mes pensées ?

- Je ne cherche pas à le fuir, mentis-je.

Alors que j'étais encore troublée par l'étrange similarité entre mes arrières-pensées et les paroles d'Aaron, une image s'insinua en moi et engouffra toute la pièce et les personnes qui la peuplaient, disparaissant petit à petit et laissant place à un long couloir sombre et sinistre. Un courant d’air glacé pénétra mes poumons et mon souffle se hacha, tandis qu'une odeur nauséabonde emplit mes narines. Je me sentis vaciller, puis ce fut comme lors d'une coupure d'électricité : ma vue semblait alterner entre le noir totale et la semi-obscurité, et mes forces me lâchaient au même moment où je m'effondrai lourdement sur le sol cabossé. Je n'avais jamais rien ressenti de tel et l'effroi s'était déjà emparé de moi et me noyait sous un tumulte de questions et d'incompréhension. J'ignorais totalement ce qui se passait et comment j'étais arrivée là. Je me souvenais seulement que quelques secondes -ou minutes- plus tôt, j'étais sagement assise sur ma chaise, en écoutant à la fois le cours de Mr Turner et les raclements de gorge d'Aaron.

L'air se raréfia davantage et mes oreilles sifflèrent à m'en percer les tympans, quand un coup de vent passa devant moi à une vitesse surnaturelle.

Un choc fit briser ma nuque dans un craquement macabre et tout devint noir.

Des voix indescriptibles s'élevèrent dans le tumulte de mon cerveau embrumé et je dus faire un effort immense pour reconnaître mon nom prononcé par un homme.

- Roxane !

Je ne pus ouvrir les yeux. J’étais comme bloquée dans l'obscurité. J’avais toujours l’impression d’étouffer, et cette sensation était vraiment pénible.

Je repris mon souffle lorsqu'une odeur alléchante surgit dans mon nez.

Du sang.

L'odeur s'approcha de mes lèvres et une goutte tomba aussi légère qu'une plume sur ma langue, éveillant mes papilles.

- Fais attention Chad.

Mr Turner. Pourquoi le mettait-il en garde ? Que pouvais-je bien faire à Chad à part…

Le tuer.

Je fis un bond, obligeant mes yeux à s’ouvrir.

La première chose que je vis fut le poignet ensanglanté de Chad qui se rapprochait de ma bouche. Je le repoussai brusquement prise d'effroi par son acte de gentillesse malgré l'appel du sang qui broyait mes pensées.

Prends ce poignet et bois ! me disait l'une.

Ne touche pas à lui, tu risques de le blesser, rétorquait l'autre.

Les élèves avaient pour la plupart quitté la pièce, mais Chad, Lucy, Sally et Aaron ainsi que le professeur étaient restés et m'avaient allongée sur deux tables collées l'une à l'autre.

J'étais tellement confuse et déboussolée que je ne me posai pas de question sur la façon dont me lorgnaient mes camarades et mon professeur. Son expression était différente des autres. Il semblait comprendre ce qu'il se passait et son regard se noircit avant de redevenir neutre la seconde d'après.

Lucy prit la parole pour me rassurer, mais en vain. Je ne parvenais toujours pas à calmer mes battements si effrayés et précipités.

- Roxane, ça va aller, tu es avec nous maintenant.

Maintenant ? Où étais-je avant ?

Ma respiration toujours rauque à cause du sang à proximité, Chad à nouveau son poignet de mes lèvres, mais je le repoussai encore. Avec moins de conviction, cette fois-ci. Je voulais vraiment me nourrir, mais j'avais tellement peur de le blesser !

Tu pourras toujours lui donner de ton sang pour le guérir.

- Bois, m'ordonna-t-il.

Un dernier regard à mes camarades, qu'ils me rendirent, rassurés et confiants.

C'est parce que tu es l'élue, entendis-je.

Je pris lentement une gorgée, puis assoiffée, je pompai plus encore sans m’arrêter. Le délicieux goût métallique s’empara de moi, emplissant ma bouche, puis ma gorge, et pour finir, alla se répandre dans mon estomac. J’avais l’impression de reprendre conscience. La puissance affluait dans mes veines et me rendit toute ma vitalité.

Chad pâlissait. Il fallait que je m’arrête, mais je n’y parvenais pas.

Arrête-toi Roxane ! Tu vas le tuer.

Sa peau déjà pâle de nature, blanchissait de seconde en seconde et ses lèvres bleuissaient. Ses yeux devinrent peu à peu vitreux et tout son corps tremblait.

Mais éloignez-le de moi ! Voulais-je dire.

- J'ai faim, dis-je réellement.

C'était comme si j'étais désincarnée, que mon côté maléfique avait pris le dessus et que moi, la vraie Roxane, était ensevelie sous une montagne de noirceur.

Chad fut brusquement arraché à moi et je titubai sous la puissance des bras qui me retinrent.

Aaron.

La vraie Roxane ne pus remonter à la surface qu'à ce moment.

Et elle était horrifiée. J'étais horrifiée.

- Je suis désolée… murmurai-je la voix tremblante tandis que je sentis des larmes me monter aux yeux. Tellement désolée, Chad, pardonne moi…

Mais il ne m'entendait plus, ou à peine. Sally s'apprêtait à lui donner de son sang mais je l'arrêtai :

- Je peux le faire. Je dois le faire.

Aaron me lâcha lentement, comme pour tester ma résistance.

Je m'approchai de Chad, et retint mon souffle pour éviter à l'odeur du sang d'affluer dans mes narines.

Je mordis dans mon poignet comme je l'avais fait pour ma première victime et je laissai couler le liquide pourpre entre les lèvres mi-close du sorcier à moitié dans les vapes.

Il reprit des couleurs assez rapidement, comme dans le film Les âmes vagabondes dans lequel les extra-terrestre ont mis au point un sérum capable de guérir presque instantanément toutes les blessures.

Ses paupières papillonnèrent et je ne pus me retenir de souffler de soulagement au même moment où les battements de son cœur stabilisèrent.

La nature de Roxane - tome 1 : MauditsWhere stories live. Discover now