Lorsque Joshua sortit de la salle pour rattraper le reste de ses camarades, Eirin su qu'elle était dorénavant seule. Après tout, elle avait commencé seule, il était donc normal qu'elle finisse ainsi. La porte venait de se refermer derrière son cousin et avec elle, elle en était sûr, sa période d'accalmie au sein de l'Académie. Malgré la bonne volonté de son directeur, s'opposer à son père était au mieux identique au pari d'un fou au pire signe d'une volonté de destruction mutuelle.
Alors qu'Eirin continuait de fixer le sol la peur au ventre, une nouvelle pensée, aussi vicieuse qu'authentique, s'insinua dans son esprit :
Une accalmie vraiment ? Pour toi, il est heureux de le croire, mais pour les autres elle ne commencera qu'à ton départ, car là n'est pas ta place.
Il était vain de s'opposer à la véracité de cette pensée. Mis à part Shauna, personne au sein de l'Académie ne l'a considérait comme un véritable paladin. "Agent double", "au service du Conseil", "chien de Frey", ... Eirin rit intérieurement, n'écoutant plus que d'une oreille discrète la conversation animée entre son directeur et son père. Et si elle ou Maître Garth parvenaient à convaincre son géniteur de la laisser malgré l'accord initial, rien ne l'attendait. Même Ethan connu pour être incapable de faire mal à un simple insecte avait tenté de l'attaquer.
Oui... après tout, c'était peut-être mieux ainsi.
Un son vint cependant et brusquement la ramener à la réalité. Eirin écarquilla les yeux, ne reconnaissant pas la voix et sachant pertinemment que personne ne se trouvait derrière elle. Elle se retourna vivement et observa l'homme qui venait d'apparaître et faire taire le vif débat dont elle faisait l'objet.
L'homme était à peine plus âgé qu'elle et la regardait avec bienveillance. Il lui offrit un chaleureux sourire qu'elle ne sut rendre trop abasourdie par la situation. Au fil de la conversation, le ton de son père se durcit de plus en plus, sûrement agacé par la façon dont se comportait ce "Dhanu".
Sans qu'elle ne puisse le contrôler, un son sorti de sa bouche et à l'encontre de tout ce que lui avait apprit son père, elle parla sans permission.
— Le dirigeant de la République d'Aldane m'a promis qu'il ferait de son mieux pour ne pas s'opposer au Conseil, alors...
Elle baissa le regard, regrettant déjà ses paroles, mais décida pourtant de poursuivre, sachant que si elle choisissait à présent le silence, la situation n'allait qu'empirer.
— Sans doute ce problème n'est pas aussi préoccupant qu'il le semble.
Le seigneur Freymïr parut sûrement trop occupé et bien trop outré de la façon avec laquelle agissait ce jeune homme qui avait osé les interrompre pour se pencher sur le cas de sa fille. Préférant analyser l'inconnu qui lui faisait à présent face tout en affichant un immense sourire, il présenta une moue désabusée. Les yeux d'un bleu profond de Dhanu, croisèrent ceux du chef de la Maison Freymïr et ce dernier ressentit quelque chose. Un sentiment ? Une sensation ? Une chose, qu'il ne parvenait pas à identifier. De ce jeune homme émanait une aura étrange, à la fois bienveillante, mais aussi puissante. Le temps de cette observation, le seigneur Freymïr ne dit un mot, jusqu'à ce que sa fille prenne de nouveau la parole. Comme s'il reprenait connaissance, il fusilla sa progéniture du regard. Mais avant qu'il ne puisse la remettre à sa place, il fut dépassé par Dhanu.
— Vous avez sûrement raison, Princesse Freymïr. Aldane aura désormais bien suffisamment de soucis et de paperasse à régler, et s'opposer au Conseil sera, pour sûr, la dernière de ses préoccupations. Une République est encore un régime innovant, elle met beaucoup de temps à se mettre en place. Ne serait-ce que pour rédiger une Constitution ! Nous ne pouvons qu'espérer que cela fonctionne pour eux !
— Ce type de régime est condamné à l'échec voire à l'avènement d'une tyrannie, interrompit alors Elder, qui regardait désormais le jeune homme avec méfiance.
— Mais est-ce vraiment le régime qui provoque cette finalité, Seigneur Freymïr ? Tiens ! Voilà une problématique idéale que tu pourras poser à tes futurs apprentis, Garth !
Elder Freymïr retira dédaigneusement la main de Dhanu de son épaule et se tourna de sorte à lui faire face.
— Je ne sais qui vous êtes, d'où vous sortez ni la raison pour laquelle vous êtes là, avança-t-il d'un ton si calme que cela en devenait inquiétant. Mais je n'ai pas le temps pour vos considérations philosophiques. Ce qui m'intéresse, c'est l'avenir du continent et de mon pays. Je suis venu ici pour comprendre la raison pour laquelle ma propre fille s'est retrouvée en pleine polémique, entachant son nom. Votre venue non souhaitée ne fait que me conforter dans cette idée que si le directeur de cette école n'est pas aussi neutre qu'il le dit, il est au moins incapable de préserver le contrôle de sa propre Académie !
Il s'avança vers Eirin, se mit derrière elle et apposa ses mains sur chacune de ses épaules qui se tendirent immédiatement au contact des paumes de son paternel.
— L'éducation de ma fille que j'avais pourtant minutieusement assurée s'en retrouve même remise en question.
Eirin souffla :
— Je me contente de rapporter...
— Tu ne te contentes que de continuer d'entacher ton nom que je m'évertue de sauver de la disgrâce malgré ton comportement, la coupa brutalement son père.
Il regarda de nouveau Maître Garth et Dhanu qui lui faisait dorénavant face et dit en un souffle :
— Je n'ai jamais vraiment compris ma propre décision d'envoyer ma fille, pensant peut-être qu'elle obtiendrait une plus grande maîtrise de la magie et des armes et développerait ses contacts ici.
Il abaissa ses yeux vers Eirin et contempla quelques instants, le piètre résultat qui s'offrait devant ses yeux.
— Je me rends compte à présent qu'il s'agissait en vérité d'une grande erreur. À présent, il est temps pour la famille Freymïr de rentrer chez elle.
Eirin savait que ce moment allait arriver. Après tout, il était prévu pour elle de partir dès son arrivée à la suite de sa première mission. Elle avait préparé sa ligne de défense au fil des journées passées à l'Académie et savait quoi répondre aux allégations de son père.
Pourtant, deux seuls mots de sa longue et si finement préparée plaidoirie réussirent à trouver un chemin jusqu'à sa bouche :
— Bien, père...
Ces deux mots qui, hors de leur contexte, se révélèrent être les plus grands traîtres de leurs propres pensées, remodelés et noircie par de multiples attaques, de ces accusations provenant de ce qu'Eirin considérait sans se l'avouer jusqu'a présent ses véritables camarades.
— Seigneur Freymir ! s'exclama alors la voix autoritaire de Maître Garth, après avoir jeté un œil réprobateur à Dhanu. Selon nos lois, aussi appréciées par le Conseil, c'est aux Paladins eux-mêmes de décider de leur départ ou non.
Il se leva de son bureau pour s'approcher de la jeune Freymïr et posa un lourd regard sur cette dernière l'obligeant à le lui rendre.
— Aucun noble, ni roi, ni membre du Conseil peut décider du départ et de la démission d'un Paladin. C'est à lui seul qu'importe ce choix !
Il dit finalement d'une voix se voulant calme et l'adresse d'Eirin et seulement d'elle.
— Eirin, c'est à toi de décider si oui non, tu veux rester. Personne d'autres, même pas les dieux ne peuvent prendre cette décision à ta place.
Eirin sentie son rythme cardiaque s'accélérer. Maître Garth avait trouvé une faille à la décision de son père et une porte de sortie pour elle. Mais finalement ou mènerai cette porte ? Où qu'elle aille, l'ombre de son père la poursuivrait partout. Tous au sein de l'Académie le lui avait prouvé plus d'une fois et jamais elle ne parviendrait à se trouver une place si ce n'est celle obtenue par la violence de son nom.
"Ils sont en train de comploter pour leur famille depuis le début !"
— Lentement, elle comprit. Seuls deux choix, deux voies s'offraient à elle : retourner sous l'emprise de son père et cesser de lutter pour finalement espérer obtenir une place à la hauteur de ses attentes ou lutter sans cesse contre des rumeurs et des illusions et n'apparaître uniquement comme un traître quelles que soient ses actions... Deux choix si facilement résumés : son véritable souhait ou la facilité.
— Je ne suis qu'une faible au final, chuchota-t-elle d'une voix inaudible pour tout autre qu'elle-même.
Elle releva la tête et regarda Maître Garth, son directeur qui l'avait suivie pendant ces nombreuses années et annonça d'une voix implacable similaire à celle de l'homme qui se trouvait derrière elle :
— Je n'ai jamais été paladin que de nom, je ne peux donc que refuser de poursuivre dans cette voie qui se refuse à moi.
Maître Garth fut surpris de voir la main qu'il lui tendait être refusée. Il ferma les yeux et acquiesça d'un signe de la tête.
— Soit, c'est ta décision. L'Académie a été fière de t'accueillir parmi ses rangs, Eirin Freymïr.
Sa voix était le témoin de sa déception, non envers cette jeune fille, mais envers lui-même, qui avait échouer à libérer cette enfant. Il tendit la main, afin de recevoir l'insigne des Paladins que lui rendit la jeune Freymïr. Puis, avant que le Seigneur Elder ne sorte du bureau, il adressa un dernier mot au directeur.
— Les accords entre l'Académie et le Conseil seront rediscutés comme il se doit.
Maître Garth releva alors la tête, comme refusant de se soumettre aux multiples menaces de l'homme qui se tenait face à lui.
— Bien, nous aurons le plaisir d'accueillir le Seigneur Rey si les termes doivent être négociés de nouveaux.
Elder jeta un dernier regard mauvais vers le directeur de l'Académie. Le seigneur Rey, lui aussi membre du Conseil, était le seul rempart qui l'empêchait de mettre un terme à la nuisance que représentait cette Académie, du moins pour l'instant.