Ethan discutait avec l'une de ses amies, Maï. Cette dernière, malgré une condition physique assez faible qui l'empêchait de briller en combat, avait su se spécialiser en art du soin, sa magie élémentaire. Elle avait ainsi obtenu très largement son diplôme. Alors que tous s'étaient moqués de la manière dont Shauna avait réussi sa deuxième épreuve, ce fut la seule à trouver cette victoire parfaite. D'un caractère souvent "problématique", elle lui avait ainsi dit qu'une victoire à l'encontre de tous n'en était que plus savoureuse.
— Je suis vraiment heureux pour toi, Maï, tu mérites d'avoir été reçue, lui dit gentiment Ethan.
Celle-ci souffla, tentant de remettre un minimum d'ordre parmi les longues mèches blanches qui ornaient sa chevelure.
— Ah ah ... en même temps si toi tu as été reçu, je ne pouvais que l'être !
— Ça m'apprendra à vouloir être sympa, soupira Ethan dépité.
— Oh ... je t'ai fait de la peine ! dit-elle d'un ton narquois en mimant une mine triste. Allez, arrête de faire cette tête ... je suis sûr que si tu avais mieux révisé et que si vous n'aviez pas rencontré ce problème lors de votre troisième épreuve, tu aurais été largement premier.
L'Académie des Paladins ne donnait pas de classement avec pour objectif d'éviter toutes différences de traitement. Les élèves qui réussissaient à décrocher leur diplôme, obtenaient le rang de Paladin et pouvaient, et même devaient, se considérer entre eux comme égaux. Pourtant, la compétition qui semble s'être encrée chez les Hommes, a rapidement pris de l'ampleur et progressivement des notes non-officielles furent mise en place à la demande des parents. Ces notes pouvaient prendre la forme d'appréciation ou de mentions suite à des réussites spectaculaires lors de certaines épreuves.
— Ne dis pas ça voyons ! Il y a des élèves bien meilleurs que moi ! bafouilla Ethan.
— Tu ne devrais pas te sous-estimer ... si tu le fais n'attends pas des autres qu'ils te relèvent.
— Je suis tout à fait d'accord avec Maï.
Kevin venait de prononcer ces mots en continuant de marcher doucement vers le petit groupe.
— Notre père veut te féliciter pour tes résultats, poursuivit-il d'une voix basse.
Ethan écarquilla les yeux.
— Quoi ?!? Mais j'ai ...
— Contente toi d'aller le voir et de le remercier, Il souffla d'un air dépité, crois moi je t'en serai déjà infiniment reconnaissant de les occuper un peu.
— Tu ne viens pas avec moi ? Ils ne t'ont pas parlé longtemps ...
— Non, je veux retrouver Shauna.
À l'entente de ce nom, Maï et Ethan baissèrent la tête visiblement gênés.
— Ne faites pas cette tête, dit bassement Kevin, je m'en occupe.
Il se tourna vers Ethan et lui chuchota d'un ton tendu :
— Toi, vas voir notre père s'il te plaît.
Ethan tourna la tête et vis au loin son père accompagné de sa femme, la mère de Kevin. Il était persuadé qu'il allait passer un mauvais moment, mais également qu'il ne pouvait pas l'éviter. Après tout, son père avait payé son droit d'entrer dans cette école. De nombreux bâtards n'avaient pas eu cette chance. La plupart d'entre eux n'obtenaient même pas le droit de vivre. Si c'était possible, ils étaient tués ou jetés au loin sans aucun moyen de prouver leur noble ascendance. Dans le cas d'Ethan, la cour avait découvert son origine trop tôt ne permettant pas à son père d'éviter la paternité.
— Tu ne manqueras pas de lui rappeler que c'est d'abord à cause de lui et de ce qu'il a entre les jambes que t'es un illégitime, d'accord ?
— Non c'est bon Maï, merci, mais je vais éviter si ça ne te dérange pas.
— Ce n'est pourtant que la vérité, se rabroua son amie qui finit par s'éloigner cherchant déjà une nouvelle personne à embêter.
Ethan commença à traverser la grande salle. Le bruit de ses pas irréguliers et son reflet au travers du sol lustré lui permit de voir à quel point il ne parvenait pas à dissimuler son anxiété. Il tourna la tête et aperçut beaucoup de ses camarades. Tous démontraient une grande panoplie d'émotion : la joie, la fierté, le soulagement, mais aussi pour certain le stress ou encore la colère. Tant d'émotions contradictoires que tous tentaient de cacher pour ne pas décevoir leurs parents. Il secoua la tête pour faire cesser ces pensées et finit par remarquer Eirin qui n'avait pas l'air de passer un bon moment en compagnie de ses parents. En tendant l'oreille, il parvint à entendre quelques bribes des paroles de ce qui semblait être sa mère.
— Je suis heureuse que tu te sois fait des amies ...
Ethan rit intérieurement. Il n'avait pas la chance d'avoir une figure maternelle aussi gentille. Sa génitrice était morte peu de temps après lui avoir donné naissance. Elle n'était qu'une pauvre qui avait su, sûrement par son charme, trouver un travail de servante auprès de son père. Après que ce dernier ait fini son affaire, il l'avait jeté hors de sa demeure. Ce fut seulement quelques mois, dans le froid et sans nourriture, plus tard qu'elle découvrit qu'elle était enceinte et décida de se venger. Elle avait ainsi écrit une lettre et l'avait envoyée à un membre de la cour. La rumeur ne tarda pas à se mettre en route et lorsque la jeune femme frappa à la porte de son père avec dans ses bras son bâtard, cela faisait déjà longtemps qu'elle s'était abattue sur le domaine. Elle lui confia l'enfant et le menaça que tuer un nourrisson, son propre enfant par-dessus le marché, ne serait pas bon pour son image. Quelques jours plus tard, son corps fut retrouvé dans le fleuve qui jouxtait le domaine de Galaad.
Il ne lui restait ainsi que son père, cet homme qui à présent lui faisait face ... et sa femme qui était loin d'être aussi aimante.
— Bonjour père, annonça respectueusement Ethan, je suis ... très heureux que vous souhaitiez me voir.
— Ne le sois pas, j'ai simplement souhaité te voir pour te féliciter de tes résultats. Apparemment, tu as su t'illustrer au cours des épreuves de l'examen, et ce, malgré la présence de camarades coriaces.
Sa belle-mère sera le bras de son mari, fusillant du regard Ethan et rit doucement :
— Ce n'était pas compliqué ... après tout n'était-il pas dans le groupe de cette personne qui a échoué à l'examen ?
— Il était également dans le groupe de Dame Freymïr, ajouta son père, il semblerait que je t'aie sous-estimé mon fils.
Mon fils ... c'était la première fois qu'il disait cela en public, se dit silencieusement Ethan. Visiblement, les liens familiaux étaient d'une élasticité à toute épreuve.
— J'espère que tu continueras à rendre fière notre famille. Après tout, nous sommes liés aux yeux de la cour, souligna le seigneur Midbard Galaad répondant ainsi à la remarque muette d'Ethan.
— Et ce même si tu dois te sacrifier, l'honneur avant tout, ajouta sa belle-mère d'un ton narquois.
Bien sûr ça l'arrangerais que je décède, se dit amèrement Ethan.
— Bien, où est mon fils unique ? demanda-t-elle en regardant d'un œil méprisant Ethan.
— Et bien, il est parti régler une affaire urgente. Avez-vous encore besoin de ma présence ? Je peux partir à sa recherche si vous le souhaitez ?
— Inutile, je ne souhaite pas te retenir plus longtemps. Je dois m'entretenir avec certaines personnes, annonça son père. Tu peux partir, n'oublies pas d'aller saluer et remercier de leur venue tes connaissances.
Sans tarder plus, Ethan tourna les talons et repartit en direction de ses amis, libre.
Tentant d'éviter Maï, qui sous le poids de l'ennui semblait avoir décidé de l'embêter durant la totalité de cette soirée, il finit par apercevoir Lyze, sa deuxième amie, au loin. Cette dernière semblait entretenir une conversation animée avec le roi Erendi, un monarque connu pour ses connaissances très avancées, tout comme son âge. Il faisait partie de ses rares souverains à ne chercher aucun conflit, ni à étendre son territoire. À côté de lui se trouvait, un noble tout aussi connu, le seigneur Mathieu Lyrayem qui n'était nul autre que le second conseillé de l'immortelle et majestueuse cité d'Horiensola, capitale de Naka, située de l'autre côté de l'Étendue salée.
Le seigneur Lyrayem ne cessait de jeter des regards autour de lui, un sentiment de nostalgie imprégnant son regard. Cela n'avait rien d'étonnant. Après tout, lui aussi par le passé, avait parcouru ces longs corridors et embrassé la voie des Paladins. Il avait pourtant fini par renoncer à l'ordre afin de prendre la place de son frère, et conseiller l'Impératrice de l'Empire de Naka, qu'il représentait sûrement en ce jour. Contrairement à son frère qui avait été destitué, le seigneur Lyrayem était un homme juste et droit. On pouvait facilement le reconnaître grâce à la grande cicatrice sur son visage, qui partait du front et descendait jusqu'à la gauche de sa mâchoire, mémoire d'une blessure qu'il avait eu lors d'un affrontement contre Gareth.
Lyze remarquant le regard appuyé d'Ethan dans leur direction, l'invita à les rejoindre. Une fois qu'il eut retrouvé le petit comité, elle le salua d'un rapide signe de tête le poussant à se présenter.
— Mes seigneurs, j'espère que la cérémonie est à votre convenance, annonça poliment Ethan.
— On peut dire qu'elle a été moins ennuyante que d'habitude, plaisanta le roi tout en massant sa longue barbe blanche.
Il désigna Lyze d'un lent mouvement de la main et poursuivit :
— Cette chère enfant était justement en train de me raconter que vous faisiez partie du même groupe que la jeune fille qui a "animé" le discours.
— En ... en effet, répondit gêné le jeune homme, navré pour la gêne occasionnée.
— Il n'y a pas de mal, au contraire, cela m'a plutôt empêché de m'endormir.
Il regarda le jeune seigneur posté à ses côtés.
— Il me semble, mon ami, que vous étiez tout aussi indiscipliné que cette personne à leur âge.
— Ne m'en parlez pas, lui répondit le seigneur Lyrayem, j'étais jeune et provocateur à cette époque.
— Pourtant, Seigneur, coupa doucement Lyze dévorée par sa curiosité, mon père m'a dit que vous aviez été le premier de votre promotion et que vous vous étiez illustré dans bien des domaines.
— C'est bien vrai, mais j'ai tout de même passé mes années ici à faire les quatre cent coups.
— Il est vrai que vous vous êtes bien assagis depuis, vous en êtes même presque devenu ennuyeux, ha ha ! le taquina le monarque.
Ethan resta rire avec ces nobles, qui étaient une présence bien plus agréable que celle de sa belle-mère. Les deux nobles demandèrent ensuite aux jeunes gens ce qu'ils allaient faire désormais. Lyze répondit qu'elle resterait surement auprès de l'Académie, souhaitant montrer à son père qu'elle était plus que sa petite fille. Les deux nobles parurent étonnés de cette volonté. Après tout, rare étaient les enfants de nobles qui souhaitaient rester à l'Académie une fois leur diplôme obtenu. La plupart d'entre eux n'était là que dans l'espoir d'acquérir un titre honorifique leur permettant d'être vu autrement que comme des enfants de parents particulièrement riche ou de nobles. Le créneau apprit et récité religieusement n'était finalement que bassement cru et respecté.
Quand l'attention se reporta sur Ethan, ce dernier regarda sa camarade et sourit doucement pour finalement annoncer que pour son cas, plus il était loin de son fief, mieux sa belle-mère se porterait.
Au bout de quelques instants, le seigneur Lyrayem poussa un profond soupire et coupa la conversation d'un ton amusé.
— Discuter en votre compagnie fut très agréable, jeunes gens. Malheureusement, je vais devoir vous quitter. Je vois depuis tout à l'heure, Maître Garth me faire des signes pour venir lui parler. Si je ne viens pas tout de suite à sa rencontre, il risque de me poursuivre toute la soirée. Encore félicitation jeunes gens pour votre titre fraîchement acquis, et si vous avez le moindre problème ou la moindre question, n'hésitez pas à chercher à me contacter. Bien que je n'exerce plus, je reste toujours dans mon cœur comme dans mon esprit, un Paladin et votre aîné.
À ses mots, il s'éloigna du groupe.
— Je vais moi-même vous laisser, je ne veux pas gâcher votre soirée à vous obliger de parler avec le vieil homme que je suis. Profitez donc de cette fête.
Les deux jeunes paladins finirent finalement par se retrouver seuls.
— C'est vraiment une bonne personne le roi Erendi, commenta Lyze, tout comme le seigneur Lyrayem par ailleurs.
— C'est sans doute pour cela qu'ils siègent au Conseil.
Lyze jeta un regard abasourdi vers Ethan.
— Mais Ethan, pas du tout ! N'as-tu donc écouté aucun cours de politique ? Ah ... je suis bête tu n'y as jamais mis les pieds ...
Ethan se gratta le sommet du crâne en rigolant :
— Tu sais Lyze, la politique c'est très simple : tu te présentes avec respect, si c'est un seigneur, tu courbes l'échine et si ce ne l'est pas, tu l'invites à boire une bonne bière ! Bon plus sérieusement tu m'expliques ?
Lyze souffla d'exaspération.
— Au lieu de te faire la morale, je devrais en effet, plutôt profiter de cet intérêt soudain pour remplir un minimum ce crâne vide qui a pourtant eu de bien meilleurs résultats que moi. Le roi d'Erendi siège au conseil à titre honorifique, bien que cela fasse plusieurs années qu'il n'y met plus les pieds sous le poids de la vieillesse. Quant au seigneur Lyrayem, mon père m'a dit qu'avec les atrocités qu'à commise Haelar Lyrayem, son frère, il a été destitué de son siège au Conseil. Seule l'impératrice a accepté de le garder sous ses ordres. En plus, pour ne pas arranger les choses, son frère est enfermé à la forteresse du Conseil.
Ethan regarda Lyze surpris. La Forteresse été réputée pour y enfermer de grands criminels ou des nobles ayant commis de graves crimes. Quand on y entrait, on était sûr d'y rester pour de très nombreuses années.
Lyze jeta un œil au seigneur Lyrayem qui semblait entretenir à présent une discussion très animée avec leur directeur.
— C'est étonnant, quand on le regarde, il a l'air si bon, souffla Lyze.
— Hélas, contrairement à la magie héréditaire, la bonté ne se transfert pas avec le sang ... De quoi son frère est-il accusé ?
— De trahison au Conseil et de meurtre de nobles. La rumeur raconte qu'il aurait même tué la femme de son propre frère.
Les deux compagnons se plongèrent dans un silence songeur. Finalement, l'endroit commença à se vider peu à peu pour se rendre au festin puis à la salle, préparée pour le bal. Ethan chercha du regard Kevin pour savoir s'il était de retour, toute en se disant qu'il valait mieux, pour éviter une nouvelle scène qu'il soit revenu seul. Toutefois, celui-ci était toujours absent. En voyant son air inquiet, Lyze posa la main sur l'épaule de son camarade et lui servit son éternel sourire naïf.
— Ne t'inquiète pas, je suis sûr qu'ils vont nous rejoindre au bal tout à l'heure. Elle ne pourra pas rester le ventre vide bien longtemps.
Ethan lui répondit par un simple sourire et lui ébouriffa les cheveux amicalement, décidément sa camarade était beaucoup trop gentille.