Après s'être assuré que les blessés pouvaient être transportés, le groupe marcha pendant un long moment avant de voir l'orée de la forêt d'où les attendait un attroupement de personnes. Parmi ces dernières se trouvait Maître Garth l'air inquiet qui, à la vue du groupe, se rapprocha leur demandant d'un ton soucieux :
— Alors ? Que s'est-il passé ?
Moran, qui portait toujours Kevin et Kristoff sur chacune de ses épaules, les confia aux professeurs qui attendaient le groupe manquant, puis se tourna vers Garth pour lui répondre :
— On va devoir redoubler de vigilance, les Gaadrimas arrivent à pondre jusqu'ici maintenant.
À l'entente de ces mots, le directeur se frotta l'arête du nez en soupirant :
— Misère, ils se rapprochent de plus en plus alors que nous sommes toujours si peu nombreux ...
Il souffla d'épuisement.
— Merci, Ser Moran, reprit-il, je dois dès à présent m'entretenir avec mes élèves.
Il jeta un œil à Shauna qui, n'étant pas blessée, n'avait pas été amenée à l'infirmerie, pour lui adresser une simple consigne :
— Suis-moi.
Sans lui accorder plus d'attention, il donna une dernier ordre à Moran :
— Retourne dans la forêt avec Ser Han et assurez-vous que le Gaadrima était seul.
***
Les apprentis étaient réunis dans la grande salle. Cette même salle qui les avait accueillis quelques jours plus tôt et où on leur avait annoncé le futur qui leur était destiné. Pourtant, ce destin était encore bien loin : ils n'avaient passé que les deux premières épreuves.
Ce n'était donc pas l'excitation ou la joie qui animait la plupart des jeunes gens, mais une profonde angoisse. Ils étaient nombreux à avoir été traumatisés par leur épreuve.
Une question les habitait tous : était-ce cela être un Paladin ?
— Oui !
Les portes de la grande salle s'ouvrirent avec force et Maître Garth s'avança, suivi de Shauna.
— Un Paladin est et sera toujours confronté au danger, dit leur professeur d'une voix forte, et la mort finira sûrement par le trouver.
Des murmures inquiets s'élevèrent tout au long de l'assemblée. Certains tentaient de se regrouper en quête de réconfort auprès de leurs camarades d'autres, au contraire, s'étaient mis à l'écart.
Le silence se faisait de plus en plus pesant quand Han, suivi de Moran, qui arborait une carrure toujours aussi impressionnante, entrèrent à leur tour dans la salle.
— Eh bien, dis donc, en terme d'ambiance, ce n'est pas la folie ici, ricana le plus petit.
Maître Garth jugea le nouvel arrivant d'un œil sévère.
— Ser Han, n'êtes-vous pas censé être retourné dans la forêt ?
— C'est justement ce qu'il allait faire ! s'empressa d'ajouter Moran.
Parmi l'assistance médusée par la scène qui se déroulait sous leurs yeux, Shauna restait en retrait derrière le directeur. Elle finit par remarquer un apprenti profitant de la suspension du discours cérémonieux du Maître pour se faufiler parmi les élèves et se rapprocher du directeur.
— Maître ...
Le directeur se tourna vers cette nouvelle nuisance, laissant Moran conduire l'incontrôlable Han hors de la grande salle.
— Que voulez-vous, Joshua Freymïr ?
Ce dernier jeta un coup d'œil à Shauna, puis reporta rapidement son attention sur le Maître.
— J'aimerais savoir où est passé le reste du premier groupe, Maître.
Le directeur émit un soupir, témoignant de sa fatigue :
— Apparemment, il était inenvisageable d'espérer garder cette histoire secrète, ne serait-ce que le temps des examens ...
— Maître, insista Joshua.
Le directeur se tourna vers le reste des élèves et éleva sa voix de sorte que tous puissent l'entendre :
— Comme certains d'entre vous l'ont remarqué, il manque parmi vous quelques apprentis. Sachez qu'il y a eu un léger incident durant leur épreuve. Après courte réflexion, il serait irresponsable et inhumain pour moi de vous en cacher la raison.
Il se frotta légèrement les mains, semblant chercher ses mots.
— Le lieu qui nous sert de refuge et qui pour certains se rapproche d'un foyer a aujourd'hui été attaqué par des forces puissantes et ... néfastes.
Il reprit une profonde inspiration avant de poursuivre sur un ton se voulant calme :
— Sachez cependant que malgré cet incident, la situation reste sous contrôle. Néanmoins, je ne peux vous assurer le bon déroulement du reste de vos épreuves. Lesja !
Le bras droit du directeur s'approcha de ce dernier, une plume et un parchemin dans la main.
— Dame Colin notera le nom des candidats renonçant et décidant ainsi soit de refaire leur année, soit d'abandonner l'espoir de devenir des Paladins. Aucun jugement ne sera la conséquence d'un tel choix.
Sur ces mots, Maître Garth ne perdit par plus de temps et disparut.
Un brouhaha s'élança dans la salle. Les élèves n'étaient pas forcément inquiets par ce papier qu'il fallait signer, mais plutôt par ce mystérieux danger. L'Académie des Paladins était réputée pour être un lieu sûr et impénétrable. Parfois, des seigneurs et des nobles s'y installaient pendant quelque temps en attendant que la menace qui les touchait s'apaise. Pourtant, aujourd'hui, la réputation de ce lieu semblait être remise en cause. Tous avaient remarqué que la plupart des membres du premier groupe n'étaient plus là, mais surtout qu'Eirin Freymïr, réputée pour être l'apprentie la plus douée, était absente. À ce qu'on disait, elle avait été salement amochée.
Dame Colin commença à passer dans les rangs, proposant tour à tour aux apprentis de signer le parchemin. Beaucoup décidèrent de ce saisir de la plume et de quitter la salle sans jeter un regard à leurs anciens camarades.
Une fois que le papier arriva à sa hauteur, Shauna le fit immédiatement passer sans même le regarder. Hors de question d'abandonner maintenant alors qu'elle avait réussi la seconde épreuve.
La seule chose qui l'inquiétait était la raison pour laquelle elle n'avait pas été brûlée, contrairement à ses camarades. En regardant l'endroit où le monstre l'avait touché, elle n'était que légèrement irritée.
***
— Il faut lui demander ... ce qui s'est passé n'est pas normal.
— Non, il en est hors de question. Ils sont tous revenus vivants, réjouissons-nous au lieu de nous questionner.
— Mais ... vous savez que ça pourrait ...
— Mademoiselle !
Eirin sursauta. Elle était tellement concentrée à tenter d'écouter ce que son professeur Panel semblait vouloir dire au directeur derrière les portes de l'infirmerie, qu'elle n'avait pas remarqué le nouvel assaut de l'infirmière sur ce qui restait de ses blessures.
L'infirmerie de l'Académie était impressionnante. Durant l'apprentissage, les cours pratiques mettaient la plupart du temps les élèves en grand danger. L'infirmière ne manquait pas, en ce sens, de travail et se vantait d'avoir tout vu.
Pourtant, quelle ne fut pas sa surprise quand elle vit arriver trois apprentis avec de mystérieuses brûlures qui continuaient de progresser sur leurs corps.
— J'ai dû faire appel à tout mon savoir-faire et à des ingrédients que je n'ai pas l'habitude d'utiliser ! Vous avez de la chance que j'en ai dans ma réserve ! Vos blessures ne sont pas très communes dans cette région.
Eirin soupira bruyamment, cette femme n'avait décidément pas sa langue dans la poche.
— Jeune fille, il serait temps pour vous de témoigner un peu de respect à vos aînées, lui dit l'infirmière sur un ton de reproche.
— Veuillez m'excuser, je n'avais absolument pas l'intention de vous manquer de respect. Je me demande simplement si rester aussi longtemps à l'infirmerie est nécessaire. La brûlure a totalement disparu et ma blessure sur la hanche a bénéficié de votre "expertise" en terme de sorts et de baume de guérison.
L'infirmière rit doucement.
— Ce n'est pas en me "complimentant" que vous sortirez plus tôt d'ici, dit-elle sur un ton joueur.
Eirin tenta de négocier :
— Mais ma brûlure était bien moins importante et ...
— Mademoiselle Freymïr ! Vous bénéficiez peut-être d'une certaine autorité dû à votre nom que vous ne devriez pas avoir à l'Académie. Cependant, au sein de mon infirmerie, je suis la seule et l'unique maîtresse des lieux. Vous aurez beau m'énumérer une liste infinie d'arguments que ce sera insuffisant.
Un rire résonna venant du lit opposé. Eirin se renfrogna.
— Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle, Kevin.
— Ah bon ? interrogea ce dernier, le sourire aux lèvres. Moi, au contraire, je trouve cette situation très comique. Laisse-moi figer le souvenir de ce magnifique jour où la grande Freymïr s'est retrouvée coincée à l'infirmerie !
— Tu devrais faire attention à ce que tu dis, ou tu risques de sortir d'ici en moins bon état que tu n'y es entré, grogna Eirin.
— Vous avez fini ? insinua d'un ton amer Kristoff allongé dans un lit à côté de celui de Kevin. Par Thot, il a fallu que je me retrouve ici avec vous deux. Qu'ai-je fait pour mériter cela ?
La conversation allait s'envenimer quand le directeur entra dans la salle de soin, suivi de Maître Panel. Eirin saisit l'occasion pour poser directement la question qui lui brûlait tant les lèvres :
— Maître, pouvons-nous poursuivre l'examen ?
Le directeur la regarda, visiblement peu surpris de la demande de l'apprentie. Un autre était en revanche bien plus réactif.
— Quoi ? hurla presque Kevin. Je savais que tous les gens de ta famille étaient tarés, mais alors là, toi visiblement, tu bats tous les records ! Voyons voir ... nous venons tout juste de survivre in-extremis à l'attaque d'un monstre immonde sûrement grâce à une intervention divine, Il fit mine de réfléchir. Que pouvons-nous faire à présent ? Y retourner afin, cette fois-ci, d'être sûr de mourir, bien sûr ! Ah ! Et tant que j'y pen ...
Il fut coupé par une main levée lui intimant le silence, celle de Maître Garth.
— Sachez que grâce aux bons soins de notre chère infirmière, un bruit de contentement survint de cette dernière qui partit en quête de nouveaux remèdes dans l'une de ses très nombreuses armoires, vous êtes parfaitement capable de reprendre l'examen.
Eirin parut soulagée. Malgré tout, le directeur reprit bien vite :
— Cependant, comme je l'ai fait pour vos camarades, je vous propose d'abandonner l'examen suite à l'incident au sein de la forêt. Alors, je vous pose la question suivante : souhaitez-vous continuer l'examen pour devenir officiellement des Paladins ?
— Je souhaite poursuivre l'examen, annonça solennellement Eirin.
— De tels événements restent des cas intéressants à étudier et l'examen ne promet que d'en être plus intéressant d'un point de vue intellectuel, annonça Kristoff d'une voix presque enthousiaste.
— Apparemment, l'attaque de ce monstre vous a cramé le cerveau ! Maître, je ne suis pas sûr de ...
— Kevin, le coupa Kristoff, je suis persuadé que Shauna a accepté de continuer.
Kristoff, en disant ces mots, regardait d'un air sournois Kevin pendant qu'Eirin ricanait, visiblement ravie de voir son détestable camarade dans cette situation.
— Le cœur a ses raisons que la raison ignore, souligna-t-elle, le regard malicieux.
Kevin regarda ses deux camarades d'un air ahuri :
— Non, elle n'aurait pas, il se coupa de lui-même, c'est pas vrai ... bien, je vais poursuivre l'épreuve ... par courage, bien entendu.
Le directeur, ne se préoccupant pas des chamailleries, poursuivit :
— Très bien, si l'infirmière l'autorise, il regarda cette dernière qui lui fit un léger signe de tête lui donnant ainsi son accord, je vous conseille de sortir d'ici et d'aller directement dans vos dortoirs afin de vous reposer.
Kristoff et Kevin n'attendirent pas plus longtemps et se dirigèrent vers la porte.
Eirin, quant à elle, se contenta de fixer du regard le directeur. Elle finit par parler d'une voix assurée :
— Maître, je sais pertinemment que ce qui s'est passé dans la forêt n'est pas normal.
— Vous avez raison, ce genre de créature ne vient pas ...
— Vous savez très bien que je ne parle pas de cela. Votre réponse me conforte dans l'idée que vous désirez garder cela secret. J'ai énormément de respect pour vous, Maître, et c'est au nom de ce respect que je ne vous poserai pas de questions ni à vous ni à personne.
Le directeur sourit discrètement, heureux de la décision de sa jeune élève.
— Cependant, si cette anomalie devait s'avérer dangereuse, je serais dans l'obligation d'en avertir ma famille, ajouta-t-elle.
Sur ces mots relevant plus de la menace, elle se leva et sortit de la salle.