Ma main posée sur mon front, mes yeux se plissaient d'incompréhension. D'exténuation.
Plus rien n'allait depuis quelques jours. Depuis mon arrivée à True Hills. Tout, absolument tout était devenu trop compliqué ! Même pour moi. Le simple fait d'être étrange n'était plus mon seul problème, il fallait à présent que la vie me fasse perdre elle-même la tête !
En parler à ma tante me paraissait de moins en moins intelligent. Aurais-je dû me confier à Sarah ?
Les derniers évènements se coordonnaient pour n'annoncer qu'une seule chose : quelque chose clochait vraiment avec moi. Entre le moment où l'impression d'être devenue Ariel la petite sirène et la « téléportation », on pouvait également relever les hallucinations de plus en plus nombreuses et l'intervention de ma tante m'ayant donné une médicamentation plus forte.
« J'ai vraiment besoin de vacances », en concluais-je en inspirant profondément. Dans un soupire las, je me levais, aérant la chambre. La fenêtre ouverte permis à Bran, le corbeau de Mme Blackwood, d'entrer. A cette heure-ci, tout le monde semblait être endormi et le corbeau éveillé devait s'ennuyer.
— Désolé Bran, mais je vais faire mon footing.
« Voilà que je parle avec les corbeaux maintenant »
Me préparant pour mon sport quotidien, je sortis après avoir refermé la fenêtre, suivis par le corbeau qui arriva bien avant moi au niveau du salon. D'ailleurs, je n'étais finalement pas la première debout. Mme Blackwood semblait également préparée pour aller faire du sport.
— Ma fille a toujours besoin de moi pour la réveiller, sinon elle ne sortira pas de son lit avant le début de l'après-midi, soupira-t-elle d'un sourire. Tes parents ont vraiment dû avoir la vie facile avec une fille aussi matinal.
— Je vais seulement courir un peu.
Elle m'observa de haut en bas. Allait-elle me proposer de se joindre à elle ?
— Je m'apprêtais à recevoir mon coach. Je possède une salle de sport. Peut-être préfèreras-tu en profiter également ?
— Je ne...
— Je suppose que tes parents te faisaient faire autre chose de la course à pieds. Je peux t'assurer que tu vas aimer.
Acceptant trop facilement, je suivis la mère de mon amie à l'arrière. Dehors, un autre bâtiment se dressait. La fameuse salle de sport. Et je compris très vite la raison pour laquelle Sarah demeurait confiante en affirmant que je ne pourrai qu'aimer. Punching-ball, tapis de course et des tapis de mousse au sol, accompagné de miroir au mur.
— Quel genre de sport pratiquez-vous, Madame ?
— Un peu de tout, même si je n'atteindrai jamais le niveau de tes parents.
Le coach ne mit pas longtemps à arriver. Et après quelques échauffements, j'eu toutes les peines du monde à contenir mon sourire. Les tapis servaient au combat.
Je venais d'enfin trouver un adversaire capable de me donner l'occasion de continuer mon entrainement, tandis que Sarah courrait sur les tapis de course.
— Doucement Charmant, interdit la mère de Raven lorsque ce dernier me mit à terre dans un bruit assourdissant.
« Charmant » avait été prononcée en français, ce qui avait de quoi étonner.
— Tu es douée, me complimenta-t-il dans cette même langue.
Un français parfait, naturel.
— Oui, je suis français, m'annonça-t-il de son grand sourire charmeur en me tendant la main pour m'aider à me relever.
Après quelques minutes de combat aux styles mélangés, Sarah ayant été totalement délaissée sans que cela ne semble la déranger, celui qu'elle appelait Charmant s'arrêta.
— Tu as une capacité d'adaptation remarquable, une instruction à plusieurs genres de combat assez impressionnant.
Après la séance de sport, Charmant accepta de s'occuper également de moi en même temps que Sarah. Seulement, il fut bientôt temps pour moi de me préparer pour une journée de cours.
Mais alors que Charmant s'apprêtait à partir, un phénomène étrange me poussa à chercher mes médicaments. Toute la cour était envahi de... grenouilles. Le fait que cela n'ait pas déranger Sarah me fit comprendre que ces animaux n'étaient pas présents. La gélule eut un effet immédiat, l'illusion disparaissant d'un claquement de doigt.
— Bien, je vais aller réveiller Raven pour qu'elle puisse vous emmener à l'école.
***
Est-ce que cela devenait une habitude ?
— More, un peu d'attention, me rappela mon professeur avant de reprendre son cours.
Je ne dormais pas. Pour autant, on ne pouvait pas affirmer que j'étais totalement présente. Un sentiment étrange s'efforçait d'agir comme un instinct, me prévenant : je devais partir. Rejoindre le lapin que je percevais par la fenêtre, que je percevais également devant la porte de la classe. La nouvelle gélule chassa l'animal.
Le professeur avait repris son cours, et, stylo en main, je tentais de me concentrer. J'abandonnais rapidement cette idée. Je n'y parvenais tout simplement pas.
Je n'avais plus beaucoup de gélule, mes hallucinations augmentaient et maintenant...
« Merde, j'ai encore dessiné sans m'en rendre compte », constatais-je en observant ce qui aurait dû être mon cours de maths. Un dessin que je reconnaissais. Des zombies et le trio habituel, Hale, Tristan et Lorelei. Mon dernier rêve, à la seule différence de la présence d'un papillon.
— Qu'as-tu dessiné ? s'intéressa mon voisin de table, Hale.
Embarrassée qu'il puisse reconnaitre son visage et ceux de ces amis, je griffonnais leurs têtes. Mais en voyant l'expression blême de Hale, j'eu l'impression qu'il avait vu avant que je ne puisse cacher les « preuves ».
« Oh la honte... »
— Comment tu... ? commença-t-il à interroger.
Il fut interrompu dans sa question par la sonnerie. Aussitôt libre de partir, je rassemblais mes affaires pour fuir la situation embarrassante. Il n'aurait jamais dû voir ça.
***
Prenant une gélule, je l'avalais en comptant le nombre restant dans le flacon. Bien trop peu. Seulement deux. Il faudrait que j'aille retrouver ma tante. S'il était vrai que cet homme bizarre, Rufus Nolan, se trouvait encore chez elle, me rendre à l'hôpital serait plus intelligent pour la voir.
Ouvrant la portière de la voiture de Raven, un corbeau se posa sur le véhicule. Celui de Sarah, sans aucun doute.
— Bran, dégage, ordonna Raven en chassant l'animal.
Le corbeau, Bran, était installé sur le toit de la voiture, lui croassant dessus alors qu'elle voulut le chasser d'un geste de la main. Il sauta au sol, battant des ailes pour manifester son mécontentement.
— Ah, attends. J'ai oublié mes bouquins, me rappelais-je soudain. Nora devrait encore être dans les parages.
— Le latin ?
— Oui, nous avons un exposé à travailler ensemble.
— Tu as été dans la Lune toute la journée. Parle à ma mère, Ever.
Mon sourire prêt-à-porter habilla mes lèvres.
— Je vais bien. Je suis simplement maladroite.
Elle roula des yeux, préférant ne rien dire et entrer dans la voiture. Comment lui avouer que mes hallucinations avaient augmenté et que le garçon qui me plaisait devait me prendre pour une tarée à cause d'un dessin ? J'avais usé d'efforts redoutables pour l'éviter le reste de la journée.
Retournant à l'intérieur du bâtiment, je croisais aussitôt le couple heureux. Nora enlaçait son petit-ami, les deux paraissant avoir posé une barrière pour les séparer du reste du monde.
Les voir ainsi m'empêcha de les déranger.
Ils étaient si heureux, à un âge où les parents nous rappelaient sans cesse qu'il ne s'agirait jamais que d'une amourette de jeunesse...
— Je ne t'ai pas vu de la journée, murmura une voix à mon oreille. M'aurais-tu éviter, Ever ?
Bien au lieu de sursauter, mon corps se paralysa. Hale avait le don pour ne jamais apparaitre comme quelqu'un de normal.
— Pourquoi t'éviter ?
— Peut-être à cause de ce que je t'ai dit hier.
Qu'avait-il dit hier qui... ? Oh.
Me souvenant ses mots de dragues de la veille, je sentis le rouge poudrer mes joues de couleurs.
Il passa sa main contre ma joue, un geste qui ne me laissa pas indifférente. Je détournais le regard embarrassée. Pourtant je n'arrivais pas à trouver le courage de le repousser, ou plus précisément je ne le voulais pas. Mais la peau anormalement glacée de Hale me ramena à la réalité. Un frisson parcouru mon corps. Pour me prévenir.
« Me prévenir de quoi ? »
Danger.
Mes doigts se posèrent sur cette main, mes yeux décrivant son poignet pour remonter jusqu'à son visage. Nos regards se trouvèrent.
— Tu es glacé.
Aussitôt se brisa le rapprochement entre nous deux, Hale décidant de s'écarter brusquement.
— Tu devrais rentrer. Tu as failli te noyer hier, tu as besoin de repos.
A ces mots il se retourna et partit. Mes sourcils se froncèrent d'incompréhension. L'avais-je vexé sans m'en rendre compte ?
Décidant de passer outre, finalement soulagée qu'il n'ait pas abordé le sujet de mon dessin, j'allais briser le moment magique entre Nora et Eric, prenant les livres et retourna voir Raven. Cette dernière attendait dans la voiture.
— Est-ce qu'il serait possible de faire un détour ?
— Ça dépend.
Face à mon interrogation muette, elle alluma sa voiture, sortant du parking.
— D'accord, tu veux aller où ?
— A l'hôpital.
Date publication : 06/07/2023