Un fil innocent défilait sous mes yeux. Il me paraissait si réel que l'envie de le toucher me fit lever la main. Pouvais-je l'atteindre et découvrir sa nature profonde ?
— Si tu as une question, n'hésite pas à me couper, Ever. Tu n'as pas à lever la main.
Surprise, je reportais mon attention sur Sarah. Elle m'enseignait sur un sujet important. Celui des familiers.
Ces esprits suivaient une sorcière durant toute sa vie. Parfois même, ces derniers l'accompagnaient dans leur vie d'après. Il s'agissait de guide, d'ami et de partenaire de magie.
Le familier connaissait sa sorcière, ses compétences, ses capacités, ses défauts également.
— Oui, j'ai une question. Vous me disiez que les familiers possédaient deux formes. Une forme animale et une forme humaine ?
— C'est exact. La plupart garde forme animale. Elle est plus discrète et pratique.
Bran, le corbeau de Sarah, se décida à croasser pour signaler sa présence. La mère de Raven lui céda une caresse délicate, ce qui parut lui plaire.
— Une sorcière n'est liée qu'à un seul familier. Ce dernier possède également ses propres caractéristiques le liant bien souvent à un élément. Bran, à toi.
Bran déploya ses ailes. Dans un effort magique bien trop rapide pour que je puisse en distinguer les détails de transformation, le corbeau disparu, laissant place à un magnifique jeune homme. Ses cheveux courts tombaient sur sa nuque. Il possédait une étrange couleur rouge cerise, terne. Ses yeux cernés, sa tenue aussi noire que ses ongles taillés en griffes, l'homme androgyne et au corps svelte m'accorda un sourire.
— Salut, petite sorcière.
Son doigt se posa sur le bout de mon nez avant de se glisser sous mon menton pour lever mon visage vers le sien.
— C'est amusant. C'est la première fois que je peux t'observer sous cet angle.
Mes mains se posèrent sur son torse, décidé à vouloir le repousser. Mais je pus sentir une forme qui n'était pas censée être présente.
Des seins ?
— Tu n'es pas un homme ?
— Je ne sais pas. Qu'est-ce que tu en penses ?
— Cesse de l'embêter, Bran.
Le familier s'approcha de sa sorcière, l'enlaçant de manière impudique, sa tête se posant sur l'épaule de cette dernière.
— Un familier tourne autour de sa sorcière bien avant son Eveil. Peut-être même que tu as pu très souvent le croiser sans comprendre qu'il s'agissait de ton familier. Un chat dans la rue te suivant plus souvent que normal, un aigle semblant se trouver non loin lorsque tu te sens perdue, un cerf apparaissant sans peur à tes côtés. Les corbeaux m'ont toujours accompagné depuis ma naissance.
— Je ne comprends pas. Le familier est un esprit ou une espèce animal ?
— Je te semble être une espèce entière ? parut se vexer Bran. Je suis unique, mais je communique avec les miens.
Cela ne répondait qu'à moitié à ma question.
— Mais pour que votre lien soit réel, tu vas devoir réaliser un rituel. Je t'accompagnerai dans chacune des étapes de celui-ci.
Elle ouvrit mon livre à une page guidant sur ce fameux rituel. Beaucoup de paragraphes, de symboles à tracer...
— C'est plus impressionnant que difficile, Ever. Ne t'en fait pas.
— Une entaille sur la marque de la sorcière, une Pleine Lune ou une Nouvelle Lune, des cercles à dessiner à la cire, la présence d'un objet reflétant... Je ne suis pas sure de comprendre. Je ne sais même pas ce qu'est cette marque de sorcière.
Son doigt pointa ma main.
— Ce grain de beauté est ta marque. Entre sorcière, nous savons nous reconnaitre grâce à ce dernier.
Elle me présenta sa propre main sur laquelle se trouvait plusieurs grains des beautés. Très discrets. Pourtant, l'un d'eux attiraient l'attention. Sa surface, si l'on se concentrait sur son observation, semblait réfléchir une sorte de lueur magique...
— N'y a-t-il pas de manière différente pour invoquer son familier ? Plus simples ?
— Il est possible d'attendre. Parfois, la sorcière et le familier finissent par se reconnaitre et se lier naturellement. Nous préférons provoquer l'évènement.
— Et je dois attendre mon anniversaire en plus... Dois-je attendre si longtemps ? Décembre n'est que le mois prochain.
— Tu l'invoqueras sans doute en même temps que Raven.
— Comment ça ?
Le familier de Raven était mort, d'après ce que j'en savais.
— Les familiers naissent le jour des Saints Innocents.
— Le 28 Décembre ? C'est le jour de mon anniversaire !
Elle esquissa un sourire, hochant de la tête.
— Ta tante me l'a déjà annoncé. Un plaisant hasard.
— Et comment fait-on pour invoquer un familier lors d'une Pleine Lune le jour de son anniversaire ?
— Excellente question !
Bien sûr qu'elle était excellente puisqu'elle était légitime !
Sarah pointa un sous-titre parmi les lignes explicatives du livre.
— Le mois d'invocation... , soupirais-je d'ennui.
— le cercle d'invocation doit être tracé le jour de ton anniversaire, et la plupart des préparatifs sont également réalisés ce jour-là. Tout comme ton invocation, ton appel. Le cercle doit demeurer et ses bougies toujours allumées, jusqu'à la Pleine Lune. Il est possible de remplacer les bougies, tant que la lumière d'au moins l'une d'elles est allumée.
Vraiment compliqué...
Je sortis mon portable, observant le calendrier pour déterminer de qui arriverait en premier en la Pleine Lune et la Nouvelle Lune les jours suivants mon anniversaire.
— Les Pleines Lunes sont conseillées. Elles regorgent de magie.
Mes yeux se perdirent dans cette lecture, à la recherche d'un moindre raccourcie possible. N'importe lequel, tant que cela signifiait que je n'avais pas à attendre autant.
— Ever ?
Je relevais la tête, constatant que les lumières s'allumaient et grésillaient.
— Votre maison est hantée, hochais-je de la tête en réponse à la question implicite de Sarah. Par un petit garçon, et un démon si l'on se souvient de celui qui m'a parlé la dernière fois.
— Ce n'était pas ma question. Je vous savoir pourquoi Raven et Nora sont en train de suspendre des chaussures en marchant en arrière.
— Ah ?
Effectivement, mes amies agissaient étrangement dans le jardin.
— C'est peut-être à cause d'un fil.
— Sois plus explicite.
— Un nouveau fil me relie à quelqu'un. Mais ce n'est pas un sort, ni un maléfice. Elles ne veulent pas me croire et je suppose qu'elles essaient de repousser le mal ?
Cela amusa la mère de Raven qui retint un rire en observant tendrement sa fille jouer l'imbécile.
Ma mère me manquait. Si elle avait été présente, sans doute qu'elle aurait rejoint les deux adolescentes pour les aider dans leur entreprise tandis que mon père m'aurait proposé un petit moment sur le ring afin de s'amuser à reproduire la scène de combat d'un film d'action sélectionné au hasard.
Mon manque de panique ou d'inquiétude à leur sort m'étonnait moi-même. J'avais le sentiment que tout irait bien. Mon grand-père était puissant, ma tante savait se défendre et mon oncle était également haut placé dans la hiérarchie. Qu'avaient-ils à craindre ? Quelqu'un trouverait une solution pour les sortir de leur problème, quel qu'il ait été. J'avais confiance en cette pensée, aussi ignorante et naïve pouvait-elle être.
— Es-tu certaine qu'il ne s'agit pas de ce vampire qui cherche à t'envoûter ?
— Hale ?
Une pensée me traversa l'esprit. Cette vision de Hale et de ces autres vampires. C'était pourtant lui qui me terrifiait dans cette sorte de prédiction dans laquelle je me trouvais par terre.
— Oui, j'en suis certaine, opinais-je de la tête. Il ne m'a lancé aucun sort et ce fil ne lui est pas lié.
Mon téléphone choisit ce moment pour vibrer.
— Ah, ma tante rentre en avance ce soir.
Sarah hocha de la tête.
— Rentre chez toi et profite de ce genre de moment avec ta famille.
Prenant mon vélo, je choisis de fuir Nora et Raven, les saluant d'un rapide geste de la main. Je pus les voir courir vers moi puis abandonner en levant les bras au ciel.
Vivre à True Hills étaient finalement très amusant. Malgré les nombreux problèmes que j'y avais rencontré, le bonheur d'être une sorcière, d'avoir des amis et d'être acceptée dans un monde de magie n'ayant rien d'une hallucination avait de quoi compenser tous les dangers venus me menacer.
Et Hale...
Il n'était pas venu en cours aujourd'hui. Avec les paroles de mon grand-père, j'étais déterminée.
Hale avait une fiancée, et si réellement il en était amoureux... Devrais-je être la méchante briseuse de couple ? Non, je devais seulement exprimer les vérités en mon cœur, et laisser les choses se faire.
Peut-être qu'Hale utiliserait ce sentiment pour remplir sa mission, ou bien peut-être ne mentait-il pas lorsqu'il m'exprima ses ressentis à mon encontre ? S'il venait à en profiter, il me suffirait sans doute de pleurer et de réclamer de l'aide à ma famille.
J'étais entourée des meilleurs. Qu'avais-je à craindre ?
Et s'il me rejette ?
Cette pensée m'obligea à m'arrêter. J'en avais oublié cette éventualité. Il était fiancé avec une très belle femme, une vampire.
— Ever More ?
Je tournais la tête vers l'inconnu qui m'appelait. Je n'étais pas encore arrivée chez moi, me trouvant à la lisière d'un bois. Un raccourcie.
Mes yeux se plissèrent, ce visage semblant se trouver dans un recoin obscur de ma mémoire. L'avais-je déjà rencontré quelque part.
Puis je les aperçus. Les deux autres en arrière. Leurs yeux brillaient d'un rouge magique et sanguinaire.
Aussitôt, je me plaçais sur mon vélo, reprenant ma route pour fuir. En une seconde, le deux roues s'envola et je tombais, glissant au sol pour atterrir plus loin. Loin de mon vélo.
Les beaux vêtements offerts par Henri étaient déchirés au niveau de mes jambes. Je n'étais pas blessée.
Pas encore.
Mais cette scène...
— Ma vision...
Raven avait tort, il avait bien s'agit d'une prédiction. J'étais d'un Eveil Ancestral. Comment pouvais-je voir l'avenir ?
Si Hale apparait...
— Ever More, ne nous compliquez pas le travail et suivez-nous.
J'étais une sorcière, je pouvais me défendre. N'est-ce pas ?
Mais que pouvait proposer un Eveil Ancestral pour se défendre contre des vampires ? L'un avait accroché dans son dos deux lames entrecroisées, l'autre s'armait d'une arme à feu tandis que la troisième personne ne cachait aucune de ses grenades et chargeurs à la ceinture. Leur uniforme noir indiquait leur appartenance à un groupe, une unité.
Je vivais dans ce monde depuis suffisamment longtemps pour savoir à quoi j'avais à faire. Des exécuteurs.
Ils seraient plus rapides que moi, avec une force physique bien supérieure à la mienne. Sans hésitation, sans émotion, ces trois-là sauraient comment agir pour me maitriser. Ils connaissaient les sorcières, ils les combattaient. Et je n'étais qu'une débutante dans la sorcellerie.
Poussant sur mes talons, je cherchais tout de même à reculer. Mon incapacité à l'emporter face à eux ne signifierait pas que j'allais me laisser faire. Jamais.
Le vampire leader s'approcha et la peur me noua l'estomac. Même si je souhaitais résister, que pouvais-je bien faire ?
Un papillon...
Libre dans le vent, silencieux dans son mouvement, le papillon virevoltait pour attirer l'attention. Celle de qui ou de quoi ? De moi, sans autre choix.
Parce que j'avais besoin d'être guidée. D'être sauvée.
Ma main se tendit, alertant les vampires. Ces derniers se placèrent en position de combat, le papillon se posa sur mes doigts.
— Peux-tu chanter pour moi ?
Le murmure se glissa au creux de mon oreille, emportant le papillon avec lui. Une mélodie s'élevait dans mon dos.
— Merde, c'est une putain d'Ancestrale.
— Je déteste ces sorcières.
Un froid glacial me traversa, un fantôme se posant devant moi, continuant de faire vibrer une douce mélodie sans musique. Le soleil se couchait et la lumière des réverbères ne réagissait qu'à la présence de cet esprit. Tout comme les vampires.
C'est ma chance !
Mais au moment de décamper, le fantôme disparu. Un nouvel individu venait d'entrer en scène. L'un des vampires s'était figé, son regard tombant sur sa poitrine pour en observer le poing qui en ressortait. Une image plus cauchemardesque que tout ce que j'avais pu voir jusqu'à présent.
Hale, les yeux enflammés, me fixait avec une expression froide et furieuse. Etais-je la raison de sa colère ?
Une deuxième main le traversa, donnant à Hale la possibilité d'exercer sa force sur sa proie pour la déchirer en deux. La tête du vampire arriva jusqu'à mes pieds. Je ne m'étais toujours pas relevée.
La réalité dépassait ma vision. J'avais envie de seulement vomir, le nœud dans mon ventre se resserrant dans ce but de calmer la nausée montante. Mais comment mon corps saurait-il empêcher mes larmes de me rendre aveugle ? En pleurant, sans doute. Mais je ne voulais ni pleurer ni vomir.
Ma main se dirigea vers ce visage distordu. Cette tête décapitée de manière si sauvage et peu net. Soudain, de ce corps en charpie s'échappa un souffle, comme une brume luminescence. Un esprit qui me traversa, me laissant dans son passage ses émotions d'effroi et de souffrance, ainsi qu'une image. La dernière qu'il ait vu avant de fermer ses yeux pour la dernière fois.
Etait-ce l'un des pouvoirs d'une sorcière Ancestrale. Si tel était le cas, comment pouvait-on oser se moquer de nous autres devant le subir ?
— C'est trop horrible.
Je ne voulais pas d'un tel don. Il me rendrait folle, il détruirait tout en moi. Allais-je me retrouver à devenir une alcoolique comme dans toutes ces séries contenant des médiums ? Dans le seul but de taire ces visions...
Ce qui suivit fut bien trop pour moi.
Hale sortit une lame, abattant les autres vampires dans un combat qui ne fut épargnée d'aucune violence. Et lorsque ces esprits voulurent à leur tour s'aventurer vers moi, le papillon aux ailes vertes m'en protégea, soulageant un peu ma peine et ma peur.
Ma vision avait été réelle. Hale était venu et à présent j'étais témoin de la raison pour laquelle les sorcières et les vampires ne pouvaient avoir d'avenir ensemble. Nous n'étions en rien égaux. S'il venait l'envie à Hale de m'arracher la tête, il lui serait aisé de le faire. Je n'étais pas puissance, seulement d'un Eveil passif et capable de casser un nez si j'étais rapide.
Hale posa ses yeux sur moi et, comme un signal, je me levais, prête à fuir cette situation dangereuse. Je ne voulais pas être la prochaine. Jamais.
Pourtant, dans mon cœur...
— Tu as peur de moi, prononça-t-il.
Date publication : 03/04/2024