CHAPITRE VINGT
« Je commence à planer rien qu'en contemplant ces magnifiques lignes blanches. »
* * *
J'emprunte la GMC de maman pour me rendre à la fête dont m'a parlé Laura, de façon à pouvoir fuir en cas de besoin. Je me gare derrière Laura dans la rue et on entre ensemble, Petra, Amanda, elle et moi.
Je n'étais pas allée à une vraie fête depuis ma cure à Spring Meadow. Je ne suis pas déçue. Il y a des garçons sexy partout. D'ailleurs, ce n'est pas compliqué : Bradley étant une prestigieuse école privée, tous les garçons sont sexy, en plus d'être bien habillés, intelligents et prêts à s'éclater.
La maison est grande, avec un immense salon en contrebas et des baies vitrées qui offrent une vue plongeante sur les beaux quartiers. Des enceintes diffusent de la musique, des bouteilles d'alcool hors de prix sont mis à la disposition des invités. Des joints circulent sur le perron.
Je suis les filles dans la cuisine. Nous sommes accueillies par un dénommé William, qui se trouve être l'hôte de la soirée. Il joue les séducteurs à fond.
— Bien, mesdemoiselles, que désirez-vous ?
— Une tequila sunrise, répond Petra.
— Un rhum-coca pour moi, demande Amanda. Mais je vais le préparer moi-même.
— Non, je m'en charge. Vous êtes les invitées ici, proteste-t-il en lui arrachant la bouteille de rhum des doigts.
Pendant qu'il fait son numéro de barman, je me planque derrière Laura et me serre un verre de jus d'orange avec quelques glaçons. J'évite de parler à William. En réalité, je n'adresse la parole à personne.
Laura et moi, on va sous le porche tandis que Petra et Amanda continuent de bavarder avec William. À peine a-t-on mis le pied dehors que deux types nous abordent. Le plus direct commence à tchatcher avec Laura. L'autre reste muet. Comme il porte un t-shirt de l'université de Dartmouth, je lui demande :
— Tu connais quelqu'un à Dartmouth ?
— Non. (Il avale quelques gorgées de bière en reluquant mes seins.) Qu'est-ce que tu bois ?
— Du jus d'orange ?
— Avec quoi ?
— Rien. Juste du jus d'orange.
— Tu n'as pas mis de vodka ?
— Non.
— Ah.
Il ne cache pas sa déception. Si je ne me soûle pas, comment pourra-t-il atteindre mon soutien-gorge ? Il aperçoit une connaissance, lui fait un signe de la main et s'éloigne.
Je me demande à quoi s'occupe Martin en ce moment. Il doit plancher sur des problèmes de calcul avancés dans son sous-sol. Eh bien, si je pouvais me téléporter chez lui à cet instant, je n'hésiterais pas une seconde.
Vers onze heures, de nouveaux invités débarquent. La fête devient encore plus folle. Ça danse dans le salon, ça s'isole dans les petites pièces, ça s'embrasse dans les recoins...
Être sobre au milieu de ce spectacle me procure des sensations très étranges. J'ai l'impression de suivre les évènements à la télé. Et puis j'entends soudain un grand raffut près de la porte d'entrée. L'ambiance change brusquement.
Quelqu'un d'important est arrivé. L'attention de tout le monde se concentre sur le vestibule. Deux filles entrent et traversent le salon avec plusieurs garçons accrochés à leurs basques. Celle qui marche devant cache son visage sous son chapeau, dans une attitude de starlette. Je glisse à Laura :
— Ces deux-là font sensation.
— Oh, m'en parle pas, répond-elle en soufflant tout en secouant la tête.
— C'est qui ?
— Devine. C'est ma soeur.
— Elle ? Ta soeur ?
— Khloé Brantley. En chair et en os.
L'apparition de Khloé sera de courte durée. Elle se réfugie rapidement dans un sanctuaire privé inaccessible au commun des mortels.
Les conversations continuent d'aller de bon train pendant un moment, enfin la soirée reprend son cours normal. Je danse un peu avec Laura, mais je m'ennuie et je ne tarde pas à annoncer mon départ.
Laura n'est pas d'accord. Elle tient à remettre la mains ur les gars avec qui on bavardé sous le porche. Elle prétend que je plaisais à celui qui avait le t-shirt de Dartmouth et elle aime bien son copain. Alors je reste pour lui faire plaisir. On part à la recherche des garçons. N'arrivant pas à les dénicher en bas, on essaie l'étage.
En poussant la porte d'une petite chambre, on tombe par hasard sur Khloé, entourée de six autres gamins. Ils sont tranquillement en train de se passer un miroir de poche avec des lignes de cocaïne dessus. Notre intrusion ne les enchante pas.
— On ne vous a jamais dit de frapper avant d'entrer ? Râle une fille.
— Oh ça va, intervient Khloé, assise en tailleur au centre. C'est ma soeur.
Comme on est plantées sur le seuil, un garçon anxieux nous fait signe d'entrer et de fermer la porte. J'ai beau savoir que c'est une mauvaise idée, je m'exécute et je m'assois avec Laura.
On ne se sent pas vraiment les bienvenues. Laura tente de discuter avec Jayna, une des amies de sa soeur, mais celle-ci l'ignore complètement. D'ailleurs, personne n'écoute personne. Ils sont trop occupé à regarder une fille avec une épaisse couche de mascara sur les cils sniffer un rail. Il n'y a que la coke qui les intéresse.
Je mordille l'intérieur de ma lèvre inférieure. Je connais ces sensations-là par coeur. Je me suis retrouvée dans ce genre de pièce des tas de fois.
J'observe Khloé. Elle est si stone, si bourrée et si shootée à la cocaïne qu'elle n'a plus que deux fentes brillantes à la place des yeux. Et pourtant, même là, on ne peut s'empêcher de la dévisager tellement elle est belle.
— Oh bordel, j'ai perdu ma bière ! S'exclame-t-elle en gloussant, son chapeau incliné sur le côté.
Un garçon lui propose la sienne.
Je voudrais tant que Laura invente une excuse pour nous sortir d'ici. Malheureusement, elle est plus qu'éméchée, elle aussi. Et elle réclame de la coke.
Je crois que l'heure est venue de rentrer chez moi. J'en suis même sûre. Mais, bien entendu, Khloé choisit ce moment-là pour s'écrier :
— Hé ! Mais tu es Kaylee ! Celle qui est allée en cure de désintox !
Toutes les têtes pivotent vers moi. Je sens leurs regards me brûler la peau.
— Kaylee est une légende, affirme Khloée au garçon près d'elle. Kaylee le pit-bull ! Elle faisait tellement la fête qu'ils ont dû l'enfermer !
Je ne réagis pas. Je mordille un peu plus fortement l'intérieur de ma lèvre.
— Sérieusement, c'était comment ? Me demande-t-elle en parlant bien fort.
— Pas très excitant.
— Allez ! Filez-lui la coke ! S'exclame un des garçons.
Les autres approuvent et me voilà avec un miroir de coke, une paille et une lame de rasoir sous le nez, le tout accompagné d'une bière bien fraîche.
Ah ! Cette vision, cette odeur... je crois que je vais m'évanouir. Je commence à planer rien qu'en contemplant ces magnifiques lignes blanches...
Et je me réveille d'un coup.
— Euh, non merci.
Laura prend ma défense et me débarrasse du miroir.
— Ce soir, elle a décidé d'être sage, décrète-t-elle en souriant.
— Elle a pris sa retraite ! Plaisante Khloé en criant tout en brandissant sa bière, éclaboussant quelques-uns de ses camarades. La légende a pris sa retraite !
Tout le monde éclate de rire. Laura positionne la paille dans sa narine et se penche au-dessus de la petite glace. Deux lignes blanches disparaissent comme par enchantement.
Elle rejette sa tête en arrière en se pinçant les narines. Son voisin attrape le matériel et se fait deux rails à son tour. Il y a beaucoup de coke. Il y en a au moins pour mille dollars.
Il faut que je me tire d'ici. Et vite.
Je prétexte un besoin urgent d'aller aux toilettes. Je me lève, je passe par-dessus Laura et je fonce vers la porte.