Chapitre 34 : De l'éthique d'un président... ou de son absence

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Une ombre solitaire se dressait au fin fond des entrailles du bunker de la Maison Blanche. Avec comme seule source de lumière un mur d'écrans dans le dos, elle observait, parfaitement immobile, les doubles portes blindées qui la coupaient du reste du monde. Elles s'éventrèrent sous la puissance d'explosifs. Sans même tressaillir ou chercher à se dissimuler, l'ombre attendit patiemment, mains jointes dans le dos, que les armures de cuir rebelles n'émergent de la poussière en suspension pour venir solder cette trop longue guerre.

Un être aux cheveux d'argent escorté de deux Phœnix apparurent. L'ombre écarta les bras, comme en signe de bienvenue, et s'approcha à leur encontre pour les dominer du sommet d'une courte volée de marches.

— Enmyo... proféra-t-elle d'une voix grave et apaisante.

Une voix rassurante que Sergio Arranza avait à maintes reprises entendue à la radio, à la télévision ou sur ses smartglass. Celle du vingt-et-unième président de la Fédération Terrienne : Léopold Nikolaï.

— Enmyo, notre si redoutable agent. Notre arme secrète, première et dernière ligne de défense de notre glorieuse nation. Quelle ironie que vous soyez celui qui en cause la chute ! Au moins, notre dernier entretien ne se fera pas par écrans interposés. Vous me voyez cependant contrit de ne pouvoir vous offrir quoi que ce soit à boire pour discuter des termes de ma reddition.

Sergio Arranza échangea un regard en coin avec Iryna Kalinina. Il ne fut que modérément rassuré de voir qu'elle paraissait tout aussi étonnée que lui par le ton presque amical du dictateur de la Fédération Terrienne.

— Il m'est agréable de découvrir que, même dos au mur, votre savoir-vivre ne vous a pas quitté, dit Enmyo avec une esquisse de sourire nostalgique. Néanmoins, Léopold, il vous faudra faire montre de bien plus qu'une simple bienséance pour laver les maux que vous avez infligés à l'humanité.

Du sommet de ses marches, Nikolaï se dressa de toute sa hauteur, gonfla la poitrine dans son impeccable costume dont l'austérité chromatique se fondait parfaitement avec les ténèbres ambiantes et coula un regard condescendant sur les trois rebelles.

— Des maux ? Vous parlez de maux, moi, je parle de bienfaits. Car où se portent vos accusations, Enmyo ?

— Le monde tombait en ruine sous votre égide. Au lieu de le rebâtir, vous vous évertuiez à détruire ces ultimes fondations déjà branlantes. Des années durant, j'ai tenté de vous ramener à la raison. De vous dévoyer de la route empruntée par vos prédécesseurs. De briser le cycle de la répression et de la destruction. Mais jamais, au grand jamais, je n'aurais songé que vous auriez pu ordonner de sang froid des génocides.

— Ce n'était pas de sang froid, Enmyo ! répartit vivement Nikolaï. Si je l'ai fait, c'était le cœur lourd, l'esprit acculé ! Je n'avais aucun autre choix ! C'était la seule solution ! La seule et l'unique ! Que croyez-vous ? Que je suis un malade ? Un détraqué qui puisse tirer le moindre plaisir d'un massacre, même des plus marginaux ?

— Non...

Les notes de harpes n'étaient comme souvent qu'un ruissellement de sérénité. De légers clapotis dont les profondes vibrations laissaient présager la transformation en torrent.

— Je sais que vous n'y prenez aucun plaisir, Léopold. Appelons ça... de la paresse. Ce qui, à mon sens, est bien pire. Vous vous êtes contenté d'arpenter le chemin qui s'offrait à vous. De perpétuer ce qui paraissait fonctionner, par tradition ou superstition, sans jamais remettre quoi que ce soit en cause. Vous avez choisi de poursuivre l'œuvre de domination, de contrôle et de destruction dans laquelle s'est enfoncée la Fédération Terrienne depuis son avènement. Un cycle de violence qui ne pouvait déboucher que sur une rébellion.

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Where stories live. Discover now