Chapitre 42 : Un si long chemin (1/2)

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La Volga s'écoulait paisiblement, titanesque ruban d'argent fondu capable de scinder en deux les champs, les forêts et les satellites urbains de Moscou. Kyle, qui s'en servait comme d'une guide, ne pouvait malheureusement accomplir pareilles prouesses. Lui devait escalader les monts et collines, affronter les ronces des bois et se gardait d'approcher des villes. Même le moindre hameau ou la plus petite sente tracée par la main de l'homme le repoussait. Il ne s'autorisait qu'à approcher furtivement de vieilles bâtisses en ruine, bien souvent des corps de ferme abandonnés parmi une végétation séculaire afin d'y trouver un abri pour la nuit. Sinon il dormait à la belle étoile, emmitouflé dans une couverture de survie et la tête sur le barda préparé par ses frères et sœurs de sang.

Au loin, Kyle apercevait de temps à autre un drone solitaire, des groupes de réfugiés, des convois motorisés, des héliporteurs militaires, des pelotons de soldats. Systématiquement, il se plaquait à terre. Sa main agrippait son fusil laser en un réflexe inné. Il n'eut heureusement pas à s'en servir une seule fois. Plus grave qu'une mauvaise rencontre, sa gourde ne lui fournissait assez d'eau que pour une journée. Il lui fallait sans cesse trouver une source d'eau (autre que celle de la Volga chimiquement polluée depuis des siècles et pour les siècles à venir) qu'il filtrait avant de la faire bouillir.

Si le premier jour, il avait pu avancer du matin jusqu'au soir sans faillir, ses nombreuses cicatrices le rappelèrent à l'ordre dès son réveil. Depuis, il ne marchait plus que dans les heures fraîches de la journée, s'octroyant une pause lors des zéniths solaires pour économiser force et eau. La solitude devenait de plus en plus pesante. Les prochaines retrouvailles avec Sophie et Vlad ne parvenaient pas encore à dissiper le chagrin de sa séparation avec la meute.

Ainsi progressait-il vers le Nord-Est, les restes nécrosés de Moscou se diluant dans la ligne d'horizon. Dès lors que le réservoir Rybinskoïe inonda le paysage, la Volga, de guide, devint obstacle : elle se jetait dans le lac artificiel aux largeurs d'une mer. Sa surface aussi lisse qu'un miroir reflétait le flamboiement du soleil ou les nitescences de ses lointaines cousines nocturnes en une symétrie si parfaite que flots et cieux coulaient l'un dans l'autre. Par la faute d'un barrage, la Volga reprenait un peu plus loin son cours en bifurquant vers le Sud.

Ce détail n'avait pas échappé à Kyle lors de l'étude de son itinéraire avec Sandrine et Miranda sur les instruments de navigation de l'héliporteur. Et ce qu'il redoutait le plus se refléta à cet instant sur ses sombres prunelles : la ville de Rybinsk, abritant la seule construction qui enjambait la Volga à des kilomètres en aval ou en amont, s'était hérissée de pointes, de canons et de barricades. Des fortins s'étaient érigés entre les deux berges, le pont si convoité était devenu une frontière infranchissable entre deux factions de belligérants.

Les dimensions proprement cyclopéennes de la Volga interdisaient purement à Kyle et ses piètres qualités de nageur de la traverser en pleine nature. Il n'enviait pas assez le sort des sédiments fluviaux pour prendre le risque de les rejoindre. Il n'eut donc d'autre choix que de poursuivre sa route le long du fleuve, contraint de s'éloigner temporairement de Saned pour s'en rapprocher.

Lors d'une halte dans un hameau abandonné depuis plusieurs années, Kyle fut surpris de découvrir un bazar sans nom à l'intérieur des habitations. Il lui parut étrange que les récupérateurs, habitués à troquer le moindre détritus contre un peu d'argent, n'aient pas vidé les lieux. Il fouilla les bris de verre, les enchevêtrements de tissu, les éclats de meubles, la mousse des matelas et un fatras de bibelots et parvint à dénicher un pardessus en bon état, un lot de conserves pas encore périmées, des billets épars qui finirent par former une liasse conséquente ainsi qu'une radio en état de marche.

Ses fouilles s'interrompirent brutalement lorsqu'il descendit dans une cave exhalant une odeur atroce. Il n'eut même pas le temps de descendre la dernière marche branlante qu'il remonta en quatrième vitesse, aussi discrètement et silencieusement que possible. Le sous-sol était un vaste charnier de corps et d'ossements. Animaux et hommes s'entremêlaient en une montagne de chair putréfiée. Des vêtements, des couvertures et du rembourrage se réunissaient en nids sanguinolents. Les responsablesd'un tel massacre ne pouvaient être qu'une horde de némésis.

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Where stories live. Discover now