Chapitre 12 : À chacun sa place (2/2)

18 4 2
                                    

— Mes fidèles soldats !

La voix traînante de l'ancien général fédéré s'insinua profondément dans la roche et le béton, jusqu'à vibrer dans les boyaux souterrains. Elle restait parfaitement audible dans une vaste salle de contrôle reconvertie en mess. Les rebelles mangeaient sur les postes informatiques encroûtés de poussière, au milieu des gravats, des toiles d'araignées et avec des lampes frontales en guise d'éclairage. La cuillère de Kyle, comme celles de tous les autres, resta suspendue au-dessus de son brouet dans l'attente de la suite.

— Moi, votre général, vous donne l'ordre de déposer les armes et de vous dévêtir. Obéissez-moi, soldats, sans le moindre remord, sans le moindre déshonneur et sans le moindre doute. Comprenez que cette reddition n'en est pas une, c'est en réalité une renaissance. La Fédération Terrienne que nous avons juré de servir et protéger est lentement enterrée par les bureaucrates et les politiciens. L'une des dernières pelletées de terre devait être jetée ici même, pour recouvrir nos cadavres, pour nous plonger dans l'oubli, nous, les derniers défenseurs de Notre Grande Fédération Terrienne, la seule et unique, qui ne survit que dans nos doux souvenirs ! Alors, soldats, tant que nous vivrons, elle subsistera ! Je vous le promets, des profondeurs de ce tombeau, nous surgirons ! Et dans notre sillage, Notre Glorieuse Nation se redressera !

Le phœnix qui avait aidé Kyle à descendre le promontoire, et qui répondait au nom de Vitali Anvariovitch Dratchev (la présence de deux patronymes le désignant comme un natif des Terres Désolées), lui donna un coup de coude.

— Tu crois qu'ils vont gober ça ?

— Pfff... fit leur voisine adossée contre un pan de mur effondré. J'te mise la prochaine ration qu'au moins cinq de ces tarés s'font sauter le caisson !

— Seulement cinq ? Je monte à dix moi !

— Mais fermez là ! aboya leur chef, véritable bouledogue emprisonné dans un corps de femme. On n'entend plus rien avec vos conneries ! C'est Enmyo qui parle là !

Les deux rebelles se turent,mais seulement après avoir entériné leur pari macabre d'une tape dans la main. Effectivement, la voix de harpe relaya les octaves graves et traînantes dans la salle :

— ... transmission l'informant de votre mort. Officiellement, les phœnix et votre bataillon n'existent plus. Officieusement, il n'appartient qu'à vous d'unir nos forces. Si pour l'heure, je n'ai à vous offrir qu'une cellule, cela est toujours mieux que le cercueil prévu par votre Fédération. Lors de cette détention, j'ose espérer que vous saurez ouvrir les verrous de votre esprit pour combattre à nos côtés, épaule contre épaule, tous animés par la même flamme.

Plusieurs grognements s'élevèrent dans le mess, s'amplifièrent, s'unirent en un bourdonnement sourd d'essaim en colère.

— Ces enculés de fanatiques ? domina un torrent de fureur parmi les autres. Des frères d'armes ?Plutôt crever !

— Ils vont nous poignarder à la première occasion !

— On devrait tous les cramer, comme ils l'ont fait pour nos voisins et nos amis !

Une poignée d'officiers, dont la bouledogue, intervinrent pour ramener le calme d'une série d'aboiements assassins. Toutefois, le brouhaha diffus qui persistait suffisait à couvrir les paroles d'Enmyo ou d'Ethan. La voisine de Kyle se releva de son monceau de gravats et jeta sa barquette vide sur une table.

— Le dernier gars avait p'têt raison... fit-elle remarquer. Les troufions risquent bien de finir sur un grill. C'est la meute qu'est là-haut, je vous rappelle.

— Du moment que je fais plus partie du comité d'accueil, je m'en contrefous, rétorqua Vitali sans parvenir à réprimer un frisson d'effroi. Par contre... poursuivit-il en fronçant les sourcils, j'espère qu'ils vont pas nous saloper le pari !

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Where stories live. Discover now