Chapitre 27 : Les échos de la meute

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Paris se drapait du voile d'obscurité de la nuit pour la première fois depuis des siècles. L'absence de lumières artificielles suite aux ravages de la bataille permettait à la lune et aux étoiles de briller dans son ciel. Les rues dévastées et les ruines trouvaient dans cette lueur fantomatique l'occasion d'enfin se reposer ; à l'instar des rebelles du square Louise Michel. Sur le versant de la butte Montmartre, tentes et sacs de couchages s'empilaient sur le moindre arpent d'herbe. Il en montait les ronflements des dormeurs et les marmonnements cauchemardesques des rêveurs.

Kyle les écoutait des hauteurs, accoudé à une balustrade de pierre percluse d'impacts. Son regard vagabondait sur l'océan de béton qui encerclait leur îlot de verdure. Il tentait de discerner les monuments parisiens les plus célèbres perdus dans les vagues de tuiles noires, de verres des buildings et de métal des grues, sauf qu'en trouver un, dans cette bouillie informe de gravats identique à la désolation de Moscou, relevait de l'impossible. Rien que la Tour Eiffel, symbole de toujours de la gigapole, n'était plus qu'un vestige du passé, un amas de ferraille tordue.

La guerre revêtait toujours le même ignoble visage, qu'importe la latitude. Même une cité aussi mirifique que Paris, capable à sa simple évocation de susciter les fantasmes les plus délirants, n'avait su y survivre.

— Capitaine...

Miranda le rejoignit contre la rambarde. Sa peau opaline scintillait sous la pâleur astrale, tout comme le bandage autour de son épaule. Elle restait de profil, en silence et les yeux perdus dans le grand large de destruction.

— Quel gâchis... commenta-t-elle finalement en un soupir écœuré. Voilà ce que nous semons dans notre sillage. Mort et ravages. Et plus nous avançons... plus nos camarades... nos amis... nos frères... nos sœurs de meute nous quittent. Capitaine... est-ce que cette guerre ne nous a pas déjà arraché plus qu'elle ne nous donnera jamais ?

— Nous ne le saurons qu'une fois la destination atteinte.

La réponse lapidaire sonnait avec la lourdeur du plomb.

— Et qu'espères-tu y trouver ?

— Tu le sais très bien. Ma femme et mon fils. Dans un monde de paix, à condition, bien entendu, que nous ne le consumions pas entièrement.

Un sourire triste alourdit le visage de la rebelle.

— Tu n'as pas grand chose à craindre, je pense. De ce que tu en as dit, Saned sera préservé grâce à son isolement. Moi, en revanche, mon appartement à déjà été écorché vif ; sa façade pelée comme la peau d'une orange. Et toujours aucune nouvelle de mes parents et de ma grand-mère. Mais je ne me fais pas trop de soucis : les réparations du réseau sont toujours en cours à Pétersbourg et les combats n'ont pas été trop violents là-haut.

Kyle ne dit rien. Cette dernière phrase, il l'avait déjà entendue au moins une dizaine de fois au cours des trois dernières années. Elle la répétait certainement dans l'espoir de s'en convaincre elle-même. À force de matraquage, n'importe quel mensonge devenait vérité.

— Je sais ce que tu penses, capitaine... Que l'espoir, à force de temps, finit toujours par tourner au vinaigre. Mais je veux y croire. Pour eux, c'est encore possible. En revanche, pour notre famille de fortune, tout est terminé... La meute n'est plus.

Sa poitrine, tout comme celle de Kyle, se comprima douloureusement, comme prisonnière de la main d'un géant qui serrait, serrait et serrait encore au point de leur broyer les côtes et le cœur.

— Ils me manquent aussi...

Tout en parcourant du regard les lieux de Paris où ils avaient semé l'un des leurs pour ne plus jamais le revoir, la poigne titanesque resserra son emprise sur leur torse. La pression leur arracha une exhalation rauque, vaine tentative d'expectorer l'infect mucus de peine qui bouchait les alvéoles.

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Where stories live. Discover now