Chapitre 33 : Goliath (2/2)

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— La femme qui tentait de trouver une alternative à la surconsommation de masse devenait une folle, renchérit Miranda. Nous étions tous ligués les uns contre les autres. : les vieux contre les jeunes, les pauvres contre les riches, la police contre les civils, les écologistes contre les économistes, les réactionnaires contre les progressistes.

Léon secoua la tête d'un air affligé en s'apercevant que Sandrine restait imperméable à ces longues énumérations.

— Quand on se contraint, quand on se bride, quand on s'autocensure, quand un détail anodin de nos vies peut injustement nous envoyer mourir en prison, alors non, jeune fille, la liberté n'est qu'un vain mot.

— Et tu crois que cet Enmyo saura la rendre réelle ?

— Si lui ne le peut, j'ai bien peur que personne n'en soit capable. Mais si tu doutes tant, pourquoi combattre sous nos couleurs ? Pourquoi risquer ta vie pour une cause qui t'indiffère ? Des valeurs qui ne sont pas les tiennes ? Une moral que tu ne parviens même pas à comprendre ?

Sandrine grimaça. Ses émotions, que son conditionnement l'avait contrainte à réprimer au point de les rendre évanescentes, se débattaient avec force sur son visage. Elles gagnaient en puissance, enflaient sous le coup d'un souffle de vie, craquelaient le masque d'indifférence soudé à sa peau.

— Tous ceux que je connaissais, tous ceux que j'aimais... tous ceux qui ont traversé avec moi l'école du Sacré-cœur... Tous ceux... Tous ceux qui ont survécu aux entraînements, aux brimades et à la torture avec moi... Tous ceux avec qui j'avais partagé mes rares moments de joie, de gaîté et d'amour... Tous sont morts dans Paris... Les uns après les autres... Jusqu'à me laisser seule...

Sa voix s'érailla, trembla, vacilla au fur et à mesure que se morcelait la froideur.

— Cette guerre les a emportés... Je m'en suis voulu... J'ai haï les rebelles... et je pense qu'une part de moi-même est toujours incapable de vous pardonner... Mais je peux vous assurer que la Fédération est celle qui me fait le plus horreur. Alors oui, je ne vous comprends pas. J'en serai peut-être à jamais incapable. Mais nous avons le même ennemi ! Si pour toi, il prend les traits d'un empire tyrannique, pour moi, c'est un parent qui a envoyé ses enfants à la mort !

Le flot d'émotions brûlant qui habitait son corps la rendit pantelante. Après s'être essuyée les yeux d'un revers de manche tout en reniflant, son regard croisa celui de Kyle qui avait interrompu son forage. Il avait attendu cet instant trop longtemps pour ne pas en profiter. Enfin la jeune adolescente brisait son carcan de stoïcisme, éventrait sa chrysalide d'insensibilité pour oser se révéler telle qu'elle était et non comme on avait désiré la modeler.

— Ce n'est pas tout... reprit l'adolescente en se tournant vers Léon. Comme tu l'as bien deviné, je ne crois pas en les Phœnix. Encore moins en Enmyo. Ni en aucun d'entre vous. Seulement en Kyle Godraon. D'aussi loin que je me souvienne, il est le seul à m'avoir donné le choix. Lors de notre rencontre, il ne m'a pas jugée, il n'a pas cherché à m'imposer sa vision, il ne m'a rien ordonné. Il m'a simplement... parlée. Comme à un être humain. Pour me convaincre sans contrainte. Que la décision vienne de moi, parce qu'il savait que sinon elle serait sans valeur. Il est celui qui a amorcé ma révolution ! Et je sais, qu'auprès de lui, je parviendrai à la mener à son terme ! Voilà pourquoi je suis aujourd'hui parmi vous !

Cet épanchement, d'une puissance rare par son côté inédit, laissa coi les Phœnix. La compassion se disputait une place de choix avec la haine, la suspicion et la colère. Kyle, lui, posa son fusil et se releva en s'appuyant contre le panneau blindé. Il n'eut pas le temps d'esquisser un pas que la jeune fille se jeta contre sa poitrine. Elle manqua de les envoyer tous deux rouler au sol. Kyle l'enserra dans ses bras, lui offrit une chaleur humaine contre laquelle elle sanglota.

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Where stories live. Discover now