Chapitre 3: Camille

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Vendredi 16 Août 2019:

Camille:

    Mes mains tremblent comme des feuilles en tenant mon portable. Il faut que je le rallume. J'ai peur d'y découvrir quelque chose qui finira par me briser. Un mois que je suis coupé du monde. Mes amis ont forcement essayé de me joindre. Comment un simple objet peut-il être source d'angoisse à ce point ?

    Peut-être parce qu'il est la cause de mon mal-être. C'est tellement plus simple de se recroqueviller sur soi-même, lorsque quelque chose ne va pas. Mais je m'en veux, car j'ai laissé tomber Noé. Ma peur a été plus forte que tout le reste.

    Le retour de Nolhan dans ma vie a fait remonter des souvenirs. De mauvais souvenirs. Je ne pouvais plus regarder mon téléphone sans y penser. À chaque fois que mes yeux se posaient dessus, j'attendais de recevoir un message d'insulte, une photo caricaturée de moi. Je n'osais plus aller sur aucune application. Je l'ai donc éteint.

    Je n'ai pas su gérer cette nouvelle situation, l'apparition de Nolhan. Je me suis revu presque quatre ans en arrière, pendant mon année de seconde. Les lycéens découvrant ma sexualité, les moqueries à longueur de journée, puis les attaques sur les réseaux sociaux.

    Je me souviens avoir eu l'impression de faire un arrêt cardiaque, à la vue de mon ancien camarade. Ma respiration s'est bloquée, l'air ne parvenait plus à rentrer dans mes poumons. J'ai tenté de calmer ma crise d'angoisse, rien n'y a fait. Lorsque mon cerveau a de nouveau été oxygéné et que j'ai pu retrouver l'usage de mes membres, j'ai couru me réfugier dans mon appartement.

    C'était peu de temps après le départ d'Adriel et de Sam. Je ne voulais pas les ennuyer avec ça, alors qu'ils venaient de partir. Et Noé, c'était inenvisageable de lui en parler. Cela lui aurait trop rappelé ses propres démons, contre lesquels il se bat encore. Je me dois de le protéger de ça. Je refuse de lui faire revivre ce qu'il lui est arrivé.

    Malheureusement pour moi, je me suis engagé auprès de la grand-mère de Sam pour l'aider dans son restaurant tout l'été. Alors le lendemain de cette altercation, je devais sortir de chez moi. Nolhan m'attendait sur les marches à l'entrée de mon immeuble. Mon coeur s'était de nouveau emballé, mon corps était rempli de frissons. Je suis resté immobile, les jambes fichées dans le sol en béton.

- Salut Camille, a-t-il dit gêné.

    Quant à moi, je n'arrivais pas à déglutir, alors parler était au-dessus de mes forces. Il s'est approché de moi mais s'est vite arrêté en me voyant émettre un geste de recul. Malgré tout, il respectait mon espace de sécurité.

- Je t'ai cherché pendant toutes ces années, il a continué la voix pleine d'émotions contenues. Je ne veux pas que tu aies peur de moi Camille.

    Si j'avais pu, j'aurais rigolé. Accompagné de ses amis, il a détruit ma vie, ma confiance en moi et dans les autres, m'a fait fuir dans un autre lycée. J'ai vécu en ermite pendant plusieurs mois, me coupant de tout ce qui était relié à internet. J'ai été suivi par une psychologue plus d'un an.

    Mes lunettes commençaient à tomber mais j'étais incapable de les redresser. Mon coeur pulsait si fort, que j'en avais mal à la poitrine. Des larmes ont percé au coin de mes yeux. J'ai agrippé la lanière de mon sac et l'ai serré aussi fort que je pouvais.

- J'ai besoin de te parler Camille, est-ce que tu serais d'accord ?, m'a-t-il demandé.

    Mes lèvres ont commencé à trembler d'effroi. Je me rappelle m'avoir fait cette réflexion, « Ne le laisse pas voir qu'il t'as bousillé. Tu es plus fort que ça Camille ».

- Non. Laisse-moi tranquille, ai-je fini par lui répondre.

    Après ces mots, je suis descendu à toute vitesse des escaliers et j'ai pratiquement couru jusqu'à l'arrêt du tram. Sans un seul regard en arrière. Mes pulsations cardiaques, se sont calmées en arrivant au restaurant. Suite à ça, j'ai éteint mon portable, effrayé à l'idée que tout recommence.

    Seulement Nolhan est revenu deux jours après. Toujours le même refrain en bouche, « je suis désolé Camille, je veux juste te parler ». J'ai pris la décision d'accepter la semaine suivante. Mais en terrain connu, rassurant pour moi. Je lui ai donné rendez-vous au restaurant, à la table la plus proche du comptoir. Sous l'oeil protecteur de Sumalee, la grand-mère de Sam.

    Lorsqu'il est arrivé, j'avais déjà un verre devant moi, pour occuper mes mains devenues moites par le stress. Il s'est assis face à moi, un stupide sourire de pardon accroché aux lèvres. Qu'est-ce que j'étais en colère de le voir là, dans un lieu qui est saint de mon passé.

- Tu as changé Camille, il a commencé et mon coeur s'est emballé. C'est ici que je t'ai revu il y a quelques semaines. Je devais trouver le courage de t'approcher mais après ce qui s'est passé au lycée je ne savais pas si j'avais le droit.

    À cette mention, mon corps s'était figé et une boule s'était coincée dans ma gorge. J'étais censé avoir évolué. Non, il n'avait pas le droit de se pointer aujourd'hui. Je suis resté muet, refusant de lui accorder la moindre parole.

- Quand j'ai su que tu avais déménagé, j'ai essayé de te retrouver. Surtout pour m'excuser de mon comportement. C'était trop tard, le mal était déjà fait mais j'étais tellement mal pour ce que nous t'avions infligé.

    Sur le moment, je voulais le supplier de se taire, pour ne pas en entendre d'avantage et empêcher les souvenirs d'affluer. Ou encore lui reprocher qu'effectivement, c'était trop tard, ils m'avaient déjà foutu en l'air et que des excuses n'auraient rien changé.

    J'ai refusé d'écouter plus longtemps. Parce que je trouvais ça trop facile de détruire une personne, puis revenir la queue entre les jambes, regrettant ses actions. Je suis donc parti, sans aucune explication, j'estimais que je n'en avais pas à lui donner. Naïvement, j'espérais qu'il allait comprendre le message mais non, le lendemain, il m'attendait devant le restaurant.

    Puis les jours ont passé, et chaque soir après mon service, il me donnait une nouvelle justification. « Je n'ai plus aucun contact avec mes amis de l'époque. », « Si tu savais comme je me sens minable d'avoir participé à tout ça. », etc.

    Finalement, je lui ai laissé une chance. De toute manière, il m'avait déjà mis au fond du trou une fois. Il ne pourrait plus m'y emmener, pas alors que dorénavant je suis entouré de Sam, Adriel et Noé. Et pas une seule fois en trois semaines, il ne m'a déçu.    
    Me coupant dans mes souvenirs, j'ose affronter l'écran de mon portable. Des dizaines et des dizaines de messages apparaissent. Ça fait même bugger mon téléphone. Une onde de choc me percute en lisant le dernier sms reçu.

    Qu'est-ce que j'ai fait enfermé dans mon cocon ?

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