164- Les étrangers

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Journal de ma rencontre avec un étranger

Aussi loin que remontent mes souvenirs, ma mère a toujours eu des sales manies, des habitudes qu'une petite fille ne peut comprendre qu'à l'adolescence.

Oui, il y a toujours eu des trucs que je détestais chez ma mère (comme sa chemise de nuit blanche et serrée qui laissait deviner ses os). Ça se passait souvent le soir, quand je me couchais.
Pour me dire bonne nuit, elle m'embrassait le front, les joues, la poitrine, par à-coups, avec ce détestable bruit de succion. Enfant, ça me faisait rire, plus grande, ça devenait carrément lourd.

Vers 10/11 ans j'ai commencé à lui dire d'arrêter. Elle se mettait alors à chouiner comme une gamine pour un caprice, son regard larmoyant planté dans le mien. Puis elle sortait de la chambre à reculons, avec ses grands yeux noirs et sa bouche entrouverte sur un souffle agonisant. Parfois, elle allait se coucher dans son lit ou sur la banquette du salon, en bas à la cave, parfois j'entendais le tapotement de ses pieds nus sur le carrelage du couloir. Elle revenait.

Si elle avait laissé la porte entrebâillée alors elle la claquait violemment, plusieurs fois. Si elle était fermée alors elle tournait doucement la poignée, la poussait un peu et glissait sa main dans l'ouverture, pour tapoter ses longs ongles pointus contre l'interrupteur. Le pire c'est que je l'entendais glousser derrière la porte comme si elle prenait du plaisir à m'effrayer. Plus grande, je lui hurlais d'arrêter ça. Elle me répondait alors que ce n'était pas de sa faute, que sa mère l'avait aussi éduquée ainsi, pour que plus tard, je n'aie pas peur des Étrangers.

Ma mère disait aussi que pour ma sécurité, elle se devait de vérifier s'il n'y avait pas des méchants dans ma chambre, ces Étrangers. Alors, en pleine nuit, j'entendais le crissement de ses pieds sur la moquette. Et quand je ne l'entendais plus, je devinais qu'elle était là, près de moi, immobile, sans rien faire d'autre que me regarder. J'osais à peine respirer, je me demandais toujours ce qu'elle ferait après.

C'était changeant. Parfois, elle ouvrait le placard et l'inspectait avec minutie, parfois elle s'y glissait puis refermait la porte derrière elle. Elle me disait que des Étrangers pouvaient venir m'enlever pendant la nuit. J'entendais un peu sa respiration, mais elle ne sifflait pas autant que quand ma mère s'allongeait sous mon lit. Ça aussi je détestais, mais elle répondait de ne pas m'inquiéter, que les bras des Étrangers pouvaient aussi jaillir du sommier et me prendre pendant mon sommeil. Je finissais par m'endormir, car au bout d'un moment je m'y habituais. Au petit matin, elle était prête à aller bosser, hormis le week-end et pendant ses vacances où elle passait le plus clair de son temps à dormir.

Quelques mois avant mes 13 ans, elle m'a annoncé être enceinte. Elle m'a alors dit qu'elle n'avait pas été assez méfiante, qu'un Étranger avait réussi à la convaincre et l'avait prise dans son sommeil. J'ai alors compris qu'elle parlait des hommes et j'ai aussi compris que ma mère était complètement cinglée, surtout que je connaissais mon premier flirt et que le jeune garçon avec qui je sortais était vraiment super, doux, tendre avec moi.

Ma mère m'a fait deux beaux cadeaux d'anniversaire : l'arrivée de la petite Cassandre a coïncidé avec l'arrivée de mon beau-père. Cassandre s'est installée près de mon lit, dans un tout petit lit, le fameux Étranger dans le lit de ma mère. Cet homme était des plus banals, il n'avait rien d'un effrayant Étranger, capable de me faire du mal la nuit ou le jour. Ma vie devenait enfin normale, j'avais un beau-père et ma mère avait troqué ses manies contre des nuits d'amour et de confidences sur l'oreiller. Du moins c'est ce que je croyais.

Un peu plus tard, je ne sais plus trop quand, ma petite sœur Cassandre a commencé à venir régulièrement dans mon lit pendant la nuit. Elle disait que maman l'embêtait, qu'elle lui faisait des chatouilles sous les côtes et que ça la réveillait. Je me souviens encore de ces mots qu'elle me chuchotait à l'oreille :

Recueil histoires d'horreur (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant