Celles qui Survivent [TOME 1]

o6. les secrets

CHAPITRE 6
LES SECRETS

" comme une maladie qui nous ronge, comme des paillettes sur nos yeux  "

J'ai toutes les difficultés à trouver Célesti Brian parmi la foule bruissante des innombrables nobles qui m'interpellent pour m'offrir leurs compliments les plus plats et leur fausse complicité. Heureusement, elle est plus efficace que moi et me trouve vite. La voir fait fleurir un grand sourire irrépressible sur mon visage.

Elle semble différente ici, peut-être parce qu'elle est moins dans son élément, loin du Centre et de ses codes, et pourtant elle est superbe. Sa robe, d'un profond bleu nuit scintillant, est cintrée à la taille puis s'évase sur ses chevilles cerclées d'argent. Des mèches de cheveux, échappées de sa longue tresse plantée de bijoux, viennent lécher ses épaules dénudées. Malgré tout ce chic, elle sourit en découvrant les dents, apparemment aussi ravie de nos retrouvailles que moi.

Je glisse mon bras sous le sien et l'entraîne dans les jardins. Il y a du monde partout, dans chaque allée, ce qui nous oblige à parler à voix basse.

— Cela me fait très plaisir de vous revoir, Iara.

Je note avec trouble ces détails de langage : avant, elle me tutoyait ; avant, elle m'appelait de mon prénom complet. Ai-je tant changé que ça ? Ma main se crispe sur le tissu des jupons que je relève en marchant.

— Moi aussi.

— Vous êtes devenue la personne que j'ai toujours vue en vous. Aussi élégante et altière qu'une princesse et aussi dangereuse qu'une joueuse d'échecs.

La métaphore me fait sourire. Les yeux vifs de mon ancienne professeure se posent à toute vitesse sur le moindre détail de ma silhouette, puis s'empressent de s'en détourner dès que je surprends ce jeu de regards. Elle paraît presque intimidée, honteuse à l'idée de me dévisager ainsi sans toutefois pouvoir s'en empêcher, et cela me met mal à l'aise. Une barrière invisible que je n'avais jamais perçue auparavant est tendue entre nous, toile opaque qui sépare nos âmes au-delà de nos corps. Je suis prise d'une envie irrépressible de me justifier, même si je n'ai rien fait de mal.