XXXIV

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Archibald, mon allié, mon ami, mon amour,
Je sais que cette lettre ne rendra pas tout ceci moins douloureux, mais s'il y a la plus petite chance qu'elle atténue ta peine ou au moins t'en fasse comprendre ses raisons, alors je te dois d'essayer.
En arrivant ici, je n'avais que le goût de la vengeance sur les lèvres. C'est son seul cri dans mes oreilles qui me faisait avancer, jour après jour, nuit après nuit. Mon plan tenait en une ligne : devenir partie intégrante de la Cour pour mieux la briser de l'intérieur.
Premier élément perturbateur dans ce joli programme que j'avais concocté : les nobles n'étaient pas tous d'horribles personnes. Ils étaient normaux, même. Humains. À ma grande surprise, j'ai commencé à éprouver de l'amitié pour certains, Nausicaa et Nil, mes propriétaires, en tête.
Ensuite, j'ai eu deux grandes opportunités : devenir la plus importante modiste de la Cour et intégrer les Célébrations. Tu connais tout de la première ; laisse moi t'expliquer la seconde. Mon plan s'est étoffé d'une manière aussi simple que brillante. J'apprenais à me battre, avec toi puisque tu semblais être le meilleur, et je négociais une place dans l'équipe des Bronzes. La suite, c'était soit vaincre et les terroriser, soit mourir et les choquer.
C'était un bon plan avant que tu viennes tout bouleverser de tes sourires ravageurs.
Je n'avais pas prévu de tomber amoureuse de toi. Jamais je n'aurais pensé que mon cœur était capable de battre de la façon dont le moindre regard que tu me lances le fait battre. Notre amour est si puissant qu'il en est presque violent. Et pourtant, je sais depuis notre première rencontre que nous brûlerons ensemble en enfer.
Lorsque ma sœur est décédée, ma mère a découvert dans ses affaires un petit carnet. Sur celui-ci, Liana avait noté quelques phrases, précédées de la mention "Si je suis morte quand vous lisez ces lignes, je veux que ceci soit lu à mon enterrement". Voici les derniers mots de ma sœur adorée : "L'âme de chaque être humain peut être représentée par une pièce de monnaie. L'amour peuple la première face, la haine l'autre. Nous devons tous choisir notre côté. Je suis fière de m'être battue pour que l'amour soit toujours à la lumière."
J'ai toujours pensé être sur la tranche de la pièce, oscillant plus vers la haine malgré mon envie certaine de pencher vers l'amour. Et puis je t'ai rencontré et j'ai appris que j'étais capable d'aimer.
Je t'en prie, crois en ma sincérité quand je t'affirme que je t'aime plus que tout. Je t'aime tellement, si tu savais. Tu es tout pour moi. Si je ne t'avais pas rencontré, je pense que je me serais tuée. Je n'aurais pas survécu sans ton humour à toute épreuve, sans tes mots précieux, sans tes encouragements à aller toujours plus haut et toujours plus loin. Je suis tombée éperdument amoureuse de toi, de tes sourires en coin quand tu pensais que je ne te regardais pas mais que je surprenais dans le miroir, de ta façon de hausser le sourcil gauche avant de lancer une réplique bien sentie, de tes œillades brûlantes, de nos coudes qui se frôlaient en cousant, de nos danses éperdues, de nos courses effrénées dans les couloirs du château, de tes envies de poésie qui donnaient lieu à des vers ratés que tu déclamais avec fierté, de ta langue contre ma peau, de ton prénom que j'adore, de nos nuits qui me donnaient une sensation d'éternité, de tes bras qui sont devenus ma seule maison, du champagne qu'on buvait au goulot avant de passer au lit, des tasses de café que tu m'apportais le matin avec des macarons au caramel, de tes yeux mi-clos avant de te jeter sur moi, de tes proverbes ridicules quand tu m'apprenais à me battre, de nos cœurs qui battaient de concert, à chaque instant ; tous ces détails font de toi l'homme merveilleux que je suis fière d'avoir aimé.
Je ne regrette rien, mon amour. Le temps passé à tes côtés, bien que trop court à mon goût, m'a fait sentir profondément vivante et heureuse. Je veux que tu ressentes la même plénitude, Archibald. Ne sois pas triste, s'il te plaît. Ne tente pas de me rejoindre. Cela serait me faire mourir une deuxième fois. J'ai besoin que tu vives, parce que le monde a besoin de toi. Tu dois lancer la révolution dont j'espère allumer la flamme. Anéantis ce royaume et ses coutumes stupides, mon amour.
J'ai deux services à te demander. D'abord, occupe-toi de Rose et de son bébé. Laisse-la vivre dans ma suite, apporte-lui toute l'aide dont elle aura besoin et, je t'en prie, partage mon argent entre mes amis qui en ont le plus besoin, elle en tête. Ensuite, ma sœur a eu un bébé avec un noble, qui est supposé être mort en couches, sauf qu'il est peut-être vivant. S'il l'est, retrouve-le, s'il te plaît.
Sur ce, je te laisse sur un poème. Ne juge pas mon talent, tu es encore plus mauvais que moi.
N'oublie pas que je t'aime.
Ari

Celles qui Survivent [TOME 1]Where stories live. Discover now