Celles qui Survivent [TOME 1]

11. les courtisanes

CHAPITRE 11
LES COURTISANES

" c'est à cela que l'on reconnaît une vraie courtisane : elle pleure dans le secret de sa chambre avant d'aller sourire en société "

Je réalise un peu trop tard que je ne vais pas pouvoir dormir de la nuit. M'étant engagée à passer la matinée de demain avec les dames et l'après-midi avec Archibald, je suis obligée de prendre en compte cette journée gâchée à venir dans mon programme, sans compter que j'ai convenu avec Liv qu'elle ne m'aiderait jamais après vingt heures afin qu'elle puisse se reposer. Les heures à venir s'annoncent terribles.

Assise en tailleur sur le sol, je jette un énième coup d'œil à la pendule. Minuit est passé de neuf minutes. Cela fait tout juste une heure que, morceau par morceau, je monte ce modèle.

Je commence à me faire aux techniques et mon habilité s'est déjà grandement améliorée. Les erreurs des premiers jours sont déjà loin ; je réussis à faire l'ourlet de la robe toute seule et débute l'assemblage des manches, le plus compliqué selon Liv. Heureusement, nous avions déjà tout préparé hier, alors je n'ai plus qu'à coudre.

Plus qu'à.

En soupirant, je pique et repique l'aiguille. La charge de travail me paraît plus insurmontable à chaque fois que j'y pense. Je sais déjà que je vais devoir bâcler celles qui me seront destinées, puisque c'est pour les autres que je serai payée. Il va falloir que je déploie des trésors d'ingéniosité pour ne pas passer les Célébrations dans des toilettes toutes simples. Heureusement, je n'assisterai pas à la chasse en temps que spectatrice, ce qui me fait une tenue en moins à créer.

Sans que je l'ai prévu, je pense à Liana. Elle aurait adoré cet endroit, j'en ai la conviction. Elle avait les pieds sur terre quand il le fallait, mais elle était avant tout une rêveuse, une idéaliste. Je sais qu'elle aurait tout donné pour oublier sa pauvreté et vivre au Château. Elle était la reine dans les banlieues, elle aurait été la reine des salons. Je l'imagine à mes côtés, du rose sur ses lèvres et du doré sur ses yeux rieurs, essayant des plumes et plaquant sur moi des étoffes chatoyantes. Cela me fait me sentir si seule, par terre au milieu de morceaux de tissus, que les larmes montent et perlent à mes cils.