Celles qui Survivent [TOME 1]

o2. deux ans plus tôt

CHAPITRE 2
DEUX ANS PLUS TÔT

" on ne peut jamais vraiment oublier ce que l'on a désiré plus que tout "

Devant moi se trouvent deux verres. Dans l'un fume du thé, dans l'autre s'assombrit du vin. En me penchant légèrement en avant, je peux voir un léger dépôt se former dans les fonds. Ma main se tend, hésite, attrape le verre de vin. Je ferme les yeux en buvant et je pleure. L'alcool est âcre, il brûle ma gorge et colore mes lèvres de la teinte du péché.

Je pleure, mais je suis incapable d'arrêter de boire. Il y a en moi un désir d'oublier plus fort que tout, qui me dévaste, qui m'obsède, qui me fait grelotter, alors, lâchement, je lui obéis, qu'importe le prix à payer pour atteindre le néant de la pensée. Je bois, dès qu'il s'absente. Heureusement, il ne s'absente jamais très longtemps, et c'est à la fois un déchirement et un soulagement de reposer l'alcool quand il revient. C'est un rituel que j'ai mis en place. Dès que j'entends ses pas dans le couloir, je referme la bouteille et je la glisse sous le canapé. Oh, je sais qu'il sait que je bois, mais je refuse de le faire devant lui. J'ai encore cette dignité-là, la retenue de l'épouse qui ne veut pas laisser son mari constater l'étendue de son désespoir. Boire en cachette, en secret, c'est comme voler un peu de temps.

Je finis mon verre et grimace devant l'amertume de la dernière gorgée et range la bouteille. Nil ne va pas tarder et je ne me sens pas très bien, de toute façon. Mes jambes me portent jusqu'au miroir, comme chaque jour. Je ne bois pas assez pour que cela se voit dans mes yeux. Je suis toujours aussi belle, mais il y a désormais une certaine douleur qui marque mes traits. Là, cachés dans les ombres de mon visage, on peut voir les échos de la sécheresse de mon cœur.

Quand j'étais plus jeune, tout juste une femme, ma mère ne cessait de me complimenter.

"Tu es si jolie, ma chérie, avec tes longues jambes et ta taille fine... tu es si belle que j'en suis presque jalouse !"