Celles qui Survivent [TOME 1]

22. sur le toit du monde

CHAPITRE 22
SUR LE TOIT DU MONDE

" et je me saoulerai de ta peau "

Je passe la journée seule et je n'y suis plus habituée. Archibald est parti, j'ai renvoyé les filles. C'est le sprint final, les dernières retouches. Demain, nous ferons les essayages.

Je pourrais pleurer en voyant la collection soigneusement ajustée sur les cintres, les rivières de paillettes et la soie qui scintille jusqu'au sol. Je serais incapable de choisir ma préférée. Ces robes sont le fruit de mes entrailles, de mes larmes, de mon sang. Cela me fait le même effet que si j'avais cousu des morceaux de ma peau avec mes cheveux en guise de fil, même s'il va sans dire que le résultat serait loin d'être aussi ravissant.

Je vérifie le moindre détail, la moindre couture. J'examine chaque fil, chaque millimètre de tissu, chaque éclat de verre, chaque brin d'or. Tout doit être parfait. Je ne m'arrête que lorsque ma tête tourne d'avoir usé mes yeux avec une telle intensité.

Je m'autorise ensuite deux heures de sommeil, recroquevillée sur la causeuse, une couverture lancée au travers des jambes. J'ai demandé à Archibald de reporter la leçon du jour à demain et il a accepté sans poser de questions. Il a beau avoir dit en souriant me trouver séduisante avec mes cernes, je sais que je dois dormir. Hier, j'ai commencé à avoir des hallucinations. À ce stade, il en va de ma santé mentale.

Quand je me réveille, j'ai l'impression d'avoir dormi dix minutes ou dix ans. Mes yeux encore gonflés s'ouvrent sur une petite enveloppe glissée sous la porte. J'ai beau n'être réveillée que depuis quelques secondes, la panique monte, rapide, si rapide, m'aiguillonne et me paralyse, réflexe primitif devant le danger. Un instant de flottement décisif, la prendre et savoir ou fuir et sauver ma peau ?

Sans réfléchir d'avantage, je me lève, vacillante un instant, je me penche et la ramasse. Le papier est parfumé et très fin, ce qui me tranquillise. Rien à voir avec celui des missives menaçantes. J'expire en contrôlant mon souffle pour calmer les battements de mon cœur. Cet endroit me fait devenir paranoïaque.