XXVIII

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— Archie, Iara ! Venez, on vous a gardé une place !

Perchés sur les rebords d'une barque somptueuse, Auguste et Vendeslas nous font signe sans se soucier des regards courroucés des autres courtisans. À leurs côtés, j'ai la surprise de voir Zef et une jeune femme aux mèches sombres, que je suppose être sa fiancée. Nos bras toujours entrelacés et le sourire aux lèvres, nous nous approchons de l'embarcation.

— Iara !

Interloquée, je cherche la provenance de cette voix. Deux barques plus loin, je reconnais la tête blonde de Constance. D'un signe de la main, elle me demande d'approcher. Cela ne me fait pas vraiment plaisir ; j'aurais aimé finir la soirée dans la bonne humeur et sans drama, mais je vais devoir attendre, a priori. Je me tourne vers Archibald et lui dis de prendre nos places. Il ne pose pas de question, se contentant de déposer un chaste baiser à la naissance de mon cou avant de s'exécuter. Relevant mes jupons d'une main adroite, je me dirige vers mon alliée.

— Bonsoir, Clarance, la salué-je poliment.

— Je vous avais gardé une place, très chère.

Levant un sourcil déçu, elle me toise, les yeux voilés par les plumes qui viennent lécher son front. Son déguisement, très coloré, représente sans aucun doute un oiseau exotique dont elle a dû trouvé une image dans un livre. Elle a l'air si fraîche et innocente que notre précédente rencontre sonne comme un rêve. Je sais qu'il faut se méfier des apparences, mais elle semble bien trop pure pour m'avoir menacée. Cela a eu lieu, je me martèle si fort que je crains qu'elle ne l'entende. Je parviens à dissimuler ce trouble et lui souris.

— Non, je vous ai gardé une place. Deux barques plus haut.

Une moue de satisfaction vient étirer ses lèvres roses. Elle promène ses yeux mi-clos sur les courtisans assis près d'elle, visiblement enchantée de leur fausser compagnie, et se lève dans le frou-frou de ses jupons.

— Je vous suis.

Je lui tends la main pour l'aider à descendre de l'embarcation. Une mule rose se dégage de sa robe bariolée et elle met pied à terre.

— Vers qui m'emmenez-vous ? s'enquiert-elle quand même.

— Mes amis.

Un rire narquois lui échappe et elle plante ses yeux céruléens dans les miens.

— Vous savez aussi bien que moi que ce mot peut avoir de multiples significations, Iara.

Je secoue la tête, amusée, mais ne trouve rien à rétorquer. La menace sous-jacente m'a refroidie ; malgré la comédie à laquelle nous nous prêtons toutes les deux, nous sommes un danger potentiel l'une pour l'autre. Notre prétendue amitié est fragile. Elle ne repose que sur de belles paroles, et n'est en rien comparable à ce que je ressens pour mes véritables amis. Je dois tâcher de m'en souvenir.

Nous arrivons en une dizaine de secondes à la barque. Auguste, qui est le plus proche de nous, nous tend la main pour nous aider à monter. Constance passe la première et je surprends une étincelle dans leurs regards qui se croisent. Un vif intérêt s'allume aussitôt en moi. Auguste et Constance. Voilà une idée intéressante, dont je pourrais certainement tirer profit un jour ou l'autre. En relevant la tête, je lis le reflet de mes pensées dans les yeux d'Archibald, qui dévisage son ami avec curiosité.

Une fois sur la barque, je m'empresse de le rejoindre. J'appuie mes pieds sur la rangée de sièges, sur laquelle nous sommes supposés être assis, et me loge sur ses genoux. Aussitôt, il noue ses bras autour de mon corps, et je sens la chaleur se répandre dans tout mon corps. Constance se place à côté de moi, les yeux voltigeant d'un membre à l'autre de cette curieuse assemblée. Elle connaît sans doute, au moins de vue, la plupart d'entre eux, mais il me semble que l'étiquette exige que je la présente tout de même.

Celles qui Survivent [TOME 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant