XXXIII

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/ tg : évocation d'homophobie et de viol /

J'ai l'impression de m'éveiller d'un songe millénaire. C'est la lumière du jour qui fait s'ouvrir mes yeux ; par réflexe, j'ai laissé les rideaux ouverts hier soir, parce que c'est ce que préfère Archibald. Ce geste qui relève de l'habitude me laisse quelques instants à penser que tout est normal, avant que je ne me tourne pour ne trouver que le blanc du drap et que la douleur revienne sourdement se nicher dans mon sein.

J'ai dépassé le stade primaire des larmes. La souffrance pure s'est métamorphosée en une peine dont le battement continu me semble aussi naturelle que celui de mon cœur. Je me sens pleine d'énergie et de rage, prête à accomplir mon plan sans plus faiblir. Je me lève d'un pas décidé, me fais couler du café et enfile une robe de dentelle verte.

Il faut que je règle tout ce qui me reste à régler, à commencer par les lettres. Je sais déjà que cela va être douloureux, alors je décide de garder les deux plus insupportables pour la fin.

Prudence, ma chère amie,
Si tu lis ceci alors je suis morte. C'était une option, nous le savions.
S'il te plaît, deviens quelqu'un ici. Tu seras une courtisane formidable. Garde ton cœur pur et ta raison si partiale et tu iras loin. Je t'admire énormément, depuis le début. Tu as toujours été plus forte que moi. Ta présence, même effacée, m'a aidée à grandir ; tu as réussi l'exploit de devenir une sorte de grande sœur pour moi, discrète mais prête à accourir dès que je n'allais pas bien. Je te remercie pour cela.
Je voulais aussi te demander de veiller sur Archibald. Je t'en prie, ne le laisse pas devenir fou. Aide le à rester l'homme si vivant dont je suis amoureuse.
À bientôt, et vis pour nous deux.
Iara

Je relis la lettre, la juge correcte et m'apprête à rédiger la deuxième, celle d'Anélise, mais un coup frappé contre la porte me tire de cette séance d'écriture. Je pose ma plume et va ouvrir sans attendre que Rose, qui a de plus en plus de mal à se déplacer, s'en charge. À ma grande surprise, c'est Anélise qui attend de l'autre côté du battant. La coïncidence m'aurait fait sourire si elle n'arborait pas une mine aussi furieuse.

Elle entre avant que je n'ai eu le temps de dire quoi que soit, enlève ses longs gants de dentelle, les jette sur la table et plante ses poings sur ses hanches. Je suis tout ceci des yeux, stupéfaite de voir la douce jeune femme si survoltée.

— Iara, qu'avez-vous fait à Archie ?

— Pourquoi ? Est-ce qu'il va bien ?

Même elle perçoit l'inquiétude qui pointe dans ma voix puisqu'elle se relâche légèrement.

— Il est dans un état lamentable. Je veux dire, il a souvent été très...

Elle se racle la gorge et je souris malgré moi. La situation ne se prête en rien à de l'amusement, mais je comprends tout à fait ce qu'elle veut dire et c'est une réaction instinctive -nerveuse peut-être- qui a ainsi étiré mes lèvres.

— Enfin, je me suis dit que seule vous pouviez être la cause de ce... délabrement.

Je soupire et l'invite à s'asseoir, ce qu'elle fait sans me lâcher des yeux. Elle me ferait presque peur si je ne connaissais pas sa douceur naturelle.

— Nous nous sommes disputés. Je lui ai demandé de passer une journée seule, il s'est emballé, moi aussi, et nous avons plus ou moins fini par nous séparer.

Celles qui Survivent [TOME 1]Where stories live. Discover now