Chapitre final

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La fille du miroir semble assurée, pour une fois. Elle ne tremble pas, elle n'a pas le regard perdu. Au contraire, il est plus déterminé que jamais. Ses yeux brillent d'un éclat inquiétant. Deux lames prêtes à trancher. Deux morceaux d'un ciel bruissant d'orage. Deux flammes de colère pure.

Ces yeux me donnent de l'espoir. Cette fille-là est capable de réduire le monde en cendres.

Mes doigts raffermissent leur prise sur le couteau. J'admire une ultime fois mes boucles, leur tombé parfait, leur façon de souligner l'oval de mon visage et la longueur de mon cou, la manière dont elles parent ma tête comme le plus délicat des bijoux, avant de soupirer. D'une main, je rassemble des poignées de cheveux roux et brillants. De l'autre, je les tranche d'un geste sec, à la naissance de ma nuque, puis j'utilise des ciseaux pour raccourcir encore. Les mèches s'envolent et tombent au sol avec la douceur évanescente des plumes d'oiseau.

Je devrais me sentir plus légère, au vu de la masse de cheveux autour de moi, et pourtant mon cœur pèse tel une pierre au fond de mon estomac. Alors que je m'apprête à prendre mon envol, je ne parviens pas à ressentir le moindre sentiment de liberté. Au contraire, j'ai l'impression que des chaînes invisibles s'enroulent autour de mes chevilles pour m'attacher au sol.

En observant la masse des boucles coupées qui gît au sol, la boule au ventre, ce à quoi je pense n'est pas ma révolution ou ma future mort glorieuse dans l'arène. Non, je pense à Archibald qui fait courir ses mains dans mes cheveux en chuchotant que je suis belle.

Alors je pleure, malgré la promesse à moi-même que cela n'arriverait plus. Pas pour mes cheveux, bien sûr, parce que ce serait idiot. Non, je pleure pour mes amis, à qui je n'ai même pas dit au-revoir, de la vie desquels je vais m'effacer comme si je n'avais jamais existé, je pleure pour Rose et son enfant, que je ne connaîtrais sans doute pas, je pleure pour mes amies Origines, à qui j'aurais dû dire tellement plus et donné tellement plus, je pleure pour Nausicaa, pour toutes les vérités que je lui ai cachées et qu'elle apprendra par une lettre alors qu'elle méritait de les entendre.

Et finalement, plus que tout, je pleure pour Archibald.

Penser à lui me tue. Rien qu'à imaginer ses cheveux en bataille et son sourcil levé avec ironie, mon corps se courbe, pris de spasmes. Je me tiens au lavabo pour ne pas tomber, en larmes. Je pense aux choses horribles qui sont sorties de ma bouche pour le faire fuir, aux blessures que j'ai tracées dans son âme pour l'empêcher de me retenir, aux coups dont je l'ai martelé encore et encore parce qu'on s'aime et que c'est beaucoup trop dur.

Il mérite tellement mieux que moi. Il mérite plus que d'avoir le cœur déchiré en me reconnaissant dans l'arène, plus que de se sentir trahi, plus que de se haïr de ne pas pouvoir me rejoindre sur le sable, séparé de moi par un océan de nobles qui ne le laisseraient pas faire une chose pareille. Il mérite plus que la souffrance que je vais porter dans son corps comme d'un coup de couteau.

Je dois me ressaisir. Ce n'est pas le moment de flancher, pas maintenant que j'ai accompli le plus dur. Je reprends mon souffle petit à petit. Je me passe une serviette humide sur la visage pour en chasser les traces de larmes et faire le clair dans ma tête, puis, pour la deuxième et dernière fois, j'enfile le costume transmis par Louis. Avec ma poitrine comprimée par des bandes de tissu et mes cheveux coupés courts, je fais parfaitement illusion. Un beau jeune homme à l'air perdu, prêt à être sacrifié sur l'autel de l'argent et de la vanité.

Me faisant violence pour ne pas essayer de gagner du temps, je fais le tour de ma suite et m'imprègne de l'endroit pour la dernière fois. Je m'assure que les lettres sont bien au chaud dans le tiroir de ma coiffeuse, prêtes à être lues et à réparer le cœur des personnes qui comptent le plus pour moi.

Celles qui Survivent [TOME 1]Место, где живут истории. Откройте их для себя