Chapitre 4: Partie 2

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   Anatole récita une longue formule en langue runique. Les mots étaient tous articulés avec clarté. Beaux et doux, ils caressaient l'oreille comme une chanson douce. A chaque mot prononcé, les pentacles scintillaient de plus en plus. Bientôt, ils atteignirent une luminosité presque aveuglante. La boule de vif argent flottait maintenant dans les airs, comme perdue, à la dérive. Puis au bout d'un moment Anatole s'arrêta ; les pentacles cessèrent de scintiller mais c'est le vif argent qui prit la relève. En lévitation, il rayonnait d'une douce clarté bleu luminescente. Anatole s'adressa alors à Satty, au grand étonnement de celle -ci.

-Pense à quelque chose de vivant, un animal, n'importe quoi.

  Satty fut si décontenancée (car jusque-là elle s'était efforcée de ne faire aucun bruit et manqua alors presque de s'étouffer) qu'elle ne sut pas quoi dire. Elle regarda autour d'elle et vit le squelette d'un oiseau posé sur l'étagère en vue d'une quelconque étude anatomique.

-Un aigle, dit-elle !

-Va pour l'aigle. Maintenant recule-toi, ça pourrait être dangereux.

  Satty s'exécuta, pressée de ne pas être aux premières loges, car la magie lui avait toujours fait un peu peur. Avec ses mains, c'était comme si Anatole guidait le vif argent à distance. Il avait l'air d'être dans une concentration paroxysmique ; toute son attention était dirigée sur le vif argent, qu'il faisait léviter et guidait vers le troisième pentacle. À un moment Satty éternua malgré elle et Anatole relâcha un bref instant son attention et la boule de vif argent faillit s'étaler sur le sol. Puis, quand elle arriva enfin au niveau de l'autre pentacle, il relâcha un peu la pression. Quand la boule fut parfaitement au-dessus du nouveau pentacle, celui-ci se mit à scintiller d'une lumière violette et éclatante, comme auparavant. Bientôt il fut difficile de voir ce qui se passait. Satty crut entendre Anatole murmurer le mot aigle et petit à petit, en s'habituant à la forte lumière, elle put apercevoir que la boule de vif argent prenait forme. Bientôt on vit apparaître les ailes puis les plumes, le bec et les serres et pour finir les yeux. Eux seuls brillaient d'une couleur jaune vif car le reste du corps bien qu'ayant gardé des parties aux reflets plus ou moins colorés n'en avait pas moins une dominante grise. Vers la fin, au fur et à mesure qu'on s'avançait dans le processus, la lumière diminua peu à peu. Quand celle -ci eut complètement disparue, on put enfin mieux voir la chose qui se blottissait sur elle-même au cœur du pentacle. L'aigle, qui ressemblait vaguement à un corbeau vu la couleur de ses plumes et le bec qu'Anatole (ayant reproduit un aigle de mémoire) avait fait bien trop allongé, donna enfin signe de vie. Un peu gros, il mit quelques minutes à se mettre debout et agita ses ailes (comme pour vérifier que tout allait bien), puis il décolla, allant se percher sur le rebord de la cheminée. Anatole jubilait : il y était arrivé.

-L'expérience a réussi ! dit-il.

   Anatole était si content qu'il enlaça Satty et l'embrassa sur la joue, puis il la fit virevolter et tourbillonner dans les airs, comme si elle n'était qu'une vulgaire plume. Quand il eut fini, et que l'euphorie fut retombée, il la redéposa sur le sol. Un silence gênant s'ensuivit, leurs deux visages étaient si proches l'un de l'autre, que Satty fit un bon en arrière et recula prestement. Tandis qu'Anatole, un peu rouge toussota et desserra son col de chemise.

- Anatole, tu es merveilleux, s'exclama Satty en décidant de briser le silence ! Je n'y crois pas tu as réussi ! Moi, qui avais déjà préparé toute une série de répliques cinglantes à te dire en cas d'échec !!

- Ne crions pas victoire trop vite. Je ne sais pas encore combien de temps cet aigle va tenir sous cette forme... ! Peut-être que je tiens là la formule définitive mais il est tout aussi probable que l'aigle redevienne un tas de boue dans 10 secondes... En tout cas c'est une avancée incroyable parce que pour la première fois on a pu lui donner la forme qu'on voulait, une forme animale, avec les propriétés qui vont avec. L'aigle peut voler ! C'est déjà incroyable !

-L'aigle ? dit Satty. Ton oiseau n'a de l'aigle que le nom, on dirait plutôt un corbeau !!

   Anatole parut vexé : une moue boudeuse marqua brièvement son visage, mais il ne releva pas. Toujours étant, coïncidence ou pas, l'aigle (appelons-le comme cela, mais il est vrai qu'il tirait plus du corbeau !) pinça le doigt de Satty après qu'elle eut tenté de le caresser, alors qu'il s'était posé sur le dossier de la chaise près d'elle. Il lui traversa l'esprit qu'Anatole, le créateur de l'aigle-corbeau, avait très bien pu contrôler l'animal à distance pour se venger. Mais elle ne lui en souffla pas un mot.

-Ton aigle m'a mordue ! dit Satty au bord des larmes, Quelle horrible journée !

-Fais voir dit Anatole en lui prenant la main. C'est là que tu as mal ? demanda-t-il en appuyant sur le doigt endolori de toutes ses forces.

- Mais ça ne va pas ! cria Satty en retirant sa main prestement. Tu ne vois pas que j'ai mal ?

- Je voulais juste vérifier s'il t'avait bien donné un coup de bec, car je l'avoue, ta plaie il faut un microscope pour la voir ! Et puis maintenant que tu es énervée, ça t'a fait passer l'envie de ronchonner !

- Et ça c'est quoi ? dit Satty de plus en plus énervée en lui montrant le sang qui coulait de son entaille.

-Ça ? Je ne l'avais pas vu ! Allez redonne-moi ta main.

-Non, je ne te fais plus confiance !! Pour que tu me refasses mal ?! Non merci !

-Allez, je te dis, dit-il en la lui prenant de force. Il passa sa main sur sa blessure, et une sensation glacée et chatouilleuse traversa la main de Satty. En y regardant de plus près, de minuscules étincelles crépitaient le long de l'entaille. Quand Anatole eut fini, l'accident n'était plus qu'un mauvais souvenir et son doigt était « comme neuf ».

-Merci, marmonna-t-elle dans sa barbe, comme si ces mots lui peinaient.

-Je continue à penser qu'il est ridicule d'utiliser la magie pour si peu. Tu devrais partir, tu vas être en retard.

- Quelle heure est-il ?

-Il est 10H45, le temps que tu arrives jusqu'à la partie nord de l'école, il sera très exactement 11H05, enfin si tu te dépêches !

-Je suis en retard !! Tu aurais pu me prévenir !

-Tu ne me l'as pas demandé, file !

-Tu ne viens pas ? Je sais que nous ne sommes pas dans la même classe mais tous les terminaux doivent être présents pour les répétitions !

-J'en suis dispensé, comme la plupart des Plumes d'Or d'ailleurs... il serait mal vu par certaines familles que des personnes de notre condition tiennent un stand pendant la foire. Je me contenterai de faire une apparition à l'appel de mon nom et rien de plus ! Si j'étais toi je me mettrais à courir, l'heure passe, et tu es déjà en retard !

   Satty s'empressa de mettre son manteau, prit son sac et commença à partir en courant. Anatole la rappela avant qu'elle ne passe la porte et lui tendit le livre qu'il avait promis de lui prêter, elle l'empoigna avant de se ruer vers l'extérieur. Comme elle n'avait pas bien fermé la porte, l'aigle s'échappa et la suivit jusqu'au dehors. Suivant son instinct et la voyant fuir, l'aigle entreprit de foncer sur elle, et de lui donner des coups de bec. Elle essaya tant bien que mal de l'éloigner avec le livre d'Anatole, en fendant l'air avec, au hasard, espérant ainsi assommer l'animal, mais elle ne réussit qu'à l'énerver encore plus.

   Anatole se disait que Satty avait bien fait d'ouvrir la fenêtre du dessus du lit, car il aurait raté ce spectacle des plus drôles. Des badauds regardèrent Satty avec ahurissement et Anatole l'observa courir de même. Tout en se débattant, elle avançait au hasard, car elle ne voyait pas où elle allait. Fermant les yeux elle faillit se prendre un mur. Anatole plié de rire ne consentit à rappeler l'oiseau qu'au bout de plusieurs minutes. Celui-ci s'exécuta après un simple sifflement. Endolorie, Satty avançait craintive, et avait abandonné l'idée de courir. Anatole savait qu'elle ne s'en tirerait qu'avec des égratignures minimes et une belle frayeur, car dès qu'il avait vu que l'oiseau commençait à lui tomber dessus, il l'avait contrôlé à distance. Il se rappela soudain qu'il avait oublié de l'inviter à dîner. Elle aurait de toute façon sûrement décliné l'invitation, par peur qu'on l'attaque une nouvelle fois. C'était dommage, on ne la verrait sûrement pas de sitôt, mais ça avait été si drôle, qu'il n'avait pas pu s'arrêter. Il allait falloir qu'il lui envoie un cadeau pour se faire pardonner. Il pensa que Satty devait être en train de se plaindre de ses rêves et de ce jour qui était décidément maudit d'après elle. Quand il passa devant l'horloge de la cuisine, elle indiquait 10H15, (elle arriverait sûrement à l'heure !) et il se remit à rire.

La sorcière détective !  /  Tome 1: Le manoir aux deux dragonsWhere stories live. Discover now